Le Miroir de l'Urobore - Mot-clé - Christia SylfBlog ésotérique, dédié à l'occultisme et à la métaphysique théosophique. Le blog est accompagné d'un podcast comportant notamment des ouvrages d'ouvrages spirituels inspirants : la Voix du Silence d'Helena Blavatsky, la Lumière sur le Sentier de Mabel Collins ou encore quelques tomes de l'Agni Yoga d'Elena Roerich. 2024-01-15T13:04:58+00:00Uroboreurn:md5:60d1bf5c924e1a2329210f88758f083fDotclearLa Patte de Chat - Christia Sylf - 17/17urn:md5:30828e5c4cf59d0e4d747635b13944752007-07-04T10:15:00+00:002013-07-13T22:36:51+00:00UroboreLa Patte de ChatChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme Muette, tremblante, elle s'accroche cependant à la perspective de la soupe. A peine y voit-elle. Le couvercle soulevé, elle a un court malaise qui la tient là, en suspens, la louche à la main.
<br />
<br />Un tout petit bruit. Si infime qu'elle ne le perçoit pas. Le bouchon de la fiole s'en va. Et puis, tout doucement (car on n'est pas pressé, l'horaire a été respecté), on incline la fiole qui coule toute dans le potage et qui reste ensuite, vide, renversée au bord de la planchette.
<br />
<br />... Madame Gripoussier a bu sa soupe.
<br />
<br />Madame Gripoussier est allée se coucher. Madame Gripoussier se réveille. Tout en feu.
<br />
<br />Et glacée.
<br />
<br />Elle descend. Ses jambes se dérobent. Elle déboule tout son escalier.<br />
<br />Le troisième et ultime sabbat de Madame Gripoussier vient de commencer. La voici dans sa cuisine. Elle titube. Elle voudrait bien s'asseoir. Mais une force occulte la prend par l'épaule, la plante devant l'étagère. Elle voit la fiole renversée. Elle comprend... la soupe, la soupe... empoisonnée !
<br />
<br />Madame Gripoussier s'efforce de vomir. Deux doigts dans la gorge. Mais quoi, ce n'est pas sa main, CA !
<br />
<br />Ah ! la Patte-Griffe, au fond de sa gorge. Qui déchire tout. Qui lacère son estomac. Mille griffes dans ses entrailles. Quoi, c'était ainsi, LE POISON, LA MORT ! C'était si cruel, si implacable !
<br />
<br />Non, elle ne veut pas passer par là. Pas comme les autres. Pas subir ce qu'elle a fait subir.
<br />
<br />Le trismus saisit ses mâchoires. Toutes ses pensées se déroulent à cadence accélérée. C'était donc ça! Ça faisait donc ça! Elle ne savait pas. Elle ne savait pas.
<br />
<br />La damnation de Madame Gripoussier suit son cours.
<br />
<br />Ses jambes se roidissent. Elle tombe à terre sur le flanc. Comme le chat. Elle a le temps de le savoir. Elle se recourbe, l'échine arrondie, le menton rentré, les genoux remontés.
<br />
<br />Le feu froid la mange de l'intérieur.
<br />
<br />Sa tête va éclater ! Le trismus de ses mâchoires est tel qu'il lui semble qu'une barre de métal les traverse... Boire. Boire. La mort est sécheresse. <br />
<br />D'une main, elle tente d'ouvrir sa mâchoire.
<br />
<br />Comme le chat.
<br />
<br />Elle a encore le temps de savoir qu'elle est tout entière devenue un chat.
<br />Car c'est bien une griffe qu'elle s'enfonce dans la joue. C'est bien une griffe qui la déchire ainsi, faisant couler son sang.
<br />
<br />Madame Gripoussier miaule, crache, feule. Elle est couverte d'une damnation de poils.
<br />
<br />Son humanité lui est retirée.
<br />
<br />Elle se détend d'un seul coup tout allongée au sol. Et elle explose dans un immense vomissement, la gueule ouverte sur les crocs, les moustaches toutes droites.
<br />
<br />Se déchaîne un pandémonium de miaulements sataniques à travers quoi elle est emportée.
<br />
<br />Elle n'est qu'un chat, empoisonné par un humain insensé. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?...
<br />
<br />Les échos étranges de la déchéance magique reculent à l'horizon et s'éteignent.
<br />
<br />Le triple sabbat de Madame Gripoussier est achevé.
<br />
<br />
<br />Lorsqu'on retrouva son corps, on recula d'horreur.
<br />
<br />Elle s'était entièrement labouré le visage à coups d'ongles.
<br />
<br />- <em>Dirait-on pas que tous les chats s'y sont mis !</em> soupira un témoin.
<br />
<br />... Telle fut, dans son entière vérité, l'histoire de la patte de chat.
<br />
<br />
<br />La voix du narrateur se tut doucement.
<br />
<br />L'apparence de museau sympathique et chiffonné, qui évoquait si bien le vieux matou conteur, s'estompa et disparut de dessus le visage de ma Chatte-Mie. Et je la retrouvai telle qu'au début, alanguie devant moi sur ses coussins.
<br />
<br />Nous nous regardâmes seulement. Qu'aurionsnous ajouté ? Elle hocha la tête et je fis de même.
<br />
<br />Pleins de nos pensées nous restâmes silencieux un long moment.
<br />
<br />La nuit était tombée. Nous n'avions pour toute lumière qu'une lampe très douce.
<br />
<br />... Quand je sortis de mes réflexions, je vis que ma chatte au fauteuil s'était endormie dans le rond de clarté, les deux pattes sur les yeux.
<br />
<br />(<em>Fin</em>)
<br /><br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/75-la-patte-de-chat-christia-sylf-17-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/70La Patte de Chat - Christia Sylf - 16/17urn:md5:d408d3d3e1c587ed28d2bfaff48ec64a2007-07-03T10:15:00+00:002013-07-13T22:36:42+00:00UroboreLa Patte de ChatChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme ... Péniblement, en se traînant par terre, elle a rallumé sa lampe. Trop assommée pour réagir, elle ne songe qu'à se couvrir. Par-dessus sa chemise, elle met un gros tricot, son peignoir de pilou, son châle ; une écharpe sur sa tête, ses pieds dans ses chaussons. Elle regarde son réveil, en ajustant ses lunettes. Quoi, déjà sept heures du matin ? Pourtant le jour n'est pas levé. Pourtant, il fait tout noir. Elle ne comprend pas. La migraine lui bat les tempes. Elle se sent faible, comme évaporée hors de son corps, et manque tomber dans l'escalier. C'est vrai, elle n'a rien pris hier soir. Elle va se faire un bon café.
<br />
<br />Dans sa cuisine, pour allumer le gaz, elle tend la main vers la boîte d'allumettes. Avant même qu'elle l'atteigne, se produit un léger impact - oh ! pas plus fort que celui d'une patte de chat. La boîte saute d'elle-même : toutes les allumettes, au sol !
<br />
<br />Madame Gripoussier se met en devoir de les ramasser. Les osselets de son dos craquent, rouillés, douloureux. Les allumettes, les allumettes qui s'écartent, qui filent en éventail, qui roulent en tous sens, éparpillées, insaisissables, sous la cuisinière !
<br />
<br />... Tout à fait comme lorsque jouent de très petits chats...
<br />
<br />Elle s'est servie de son allume-gaz. Elle boit ce qui reste de son café car, tout à l'heure, la casserole s'est renversée, dans un grand éclaboussement... Cela fait ça, parfois, lorsqu'un chat saute de haut... Elle boit, à petites gorgées malades, en pleurnichant. Ah ! qu'elle a donc des malheurs, Madame Gripoussier. Sûr! elle s'est enrhumée cette nuit. C'est'y pas la grippe qui couve ? Elle dodeline du chef. Elle geint à petits coups comme on se berce. Tout à coup, elle se tait. Elle se fige.
<br />
<br />En face, sur le mur, une patte de chat lumineuse trace avec ses griffes trois séries de stries successives : Mané, Thécel, Pharés !
<br />
<br />Madame Gripoussier, qui est protestante, ferme les yeux, tremble, pense à sa bible qu'elle lit peu.
<br />
<br />Mais le crissement a cessé. Un peu de poussière de plâtre est tombé par terre, en dessous des trois signes.
<br />
<br />Madame Gripoussier veut lutter, tout à coup. Alors, elle parle tout haut :
<br />
<br />- <em>D'abord, tout ça, j'y crois pas, moi ! C'est pas vrai, c'est pas vrai, que je dis !</em>
<br />
<br />Le calme est parfait autour d'elle, qui triomphe :
<br />
<br /> - <em>Là, qu'est-ce que je disais ! tout ça, c'est pas vrai, d'la blague, quoi !</em>
<br />
<br />Elle est allée activer son feu. Elle a pris son tricot pour s'occuper les mains. Elle marmonne, rumine. « <em>Tout ça, c'est la grippe qui couve.</em> » Mais elle jette un cri : l'ouvrage, entre ses mains, se creuse sous l'effet d'une patte invisible, qui déchire et lacère ! Hébétée, la femme contemple ce qui reste du tricot sur ses deux aiguilles, ce massacre de laine, tous ces brins qui pendent ! La pelote roule, roule, défaite... c'est comme ça que jouent les chats...
<br />
<br />Madame Gripoussier, par un réflexe tardif, vient de jeter son ouvrage à l'autre bout de la pièce. Le front bas, la lippe longue, tandis que descendent mollement ses lunettes sur la sueur de son nez, elle fixe ce tas de laine comme si elle appréhendait que, de lui-même, il lui saute au visage.
<br />
<br />Elle s'est renversée sur le dossier de sa chaise dont les pieds de devant se relèvent, elle prend appui des mains au rebord de la table. Mais il ne lui est loisible ni d'achever son geste ni de se remettre de l'affaire du tricot car, là, dessous, dans l'ombre, passe un léger fouettement, et crac ! voici le pompon du chausson qui pend, arraché comme un oeil !
<br />
<br />Une plainte soupirée tremblote sur ses lèvres sèches. Le dessus de son pied saigne... Ah ! ben, ah ! ben, il lui en arrive des histoires à Madame Gripoussier!... Et voilà autre chose : on tire sur le bas de sa jupe. On tire et elle ne voit rien. On tire et elle se dit qu'elle est accrochée à un clou. La panique la prend. Elle secoue sa jupe, tape dessus à grandes claques folles. L'ennemi invisible résiste, tranquille et silencieux. La jupe se tend de plus en plus. La traction augmente. La force qui l'anime n'est pas de ce monde... Et crac ! l'ourlet se déchire...
<br />
<br />Alors, successivement, si vite qu'elle ne sait plus comment faire face, et qu'elle tourne sur place, crac ! la poche du tablier cède, toutes les babioles s'en échappent, et crac ! le rideau du cagibi est lacéré comme étamine, crac-crac ! se balancent les casseroles à leurs clous, crac ! tombe le réveil, pattes en l'air, qui sonne hystériquement, qui n'arrête plus, tandis qu'une boîte de farine part en longue trajectoire de blanc nuage, crac et crac-crac : la métropolis des boîtes de carton s'écroule, ses immeubles sont éventrés, répandant leurs trésors. C'est le déluge !
<br />
<br />Madame Gripoussier, ballottée au gré des vagues du désastre, rebondit d'un mur à l'autre, crie et court sur place, tombe et rampe, barbote et nage dans des flots de haricots secs, de riz et de grains de café, et se heurte aux îlots à demi submergés des meubles aux portes ouvertes, par où a glissé la blanche vaisselle qui se noie sous les cartonnages devenus furieux...
<br />
<br />Puis, tout s'apaise. C'est l'abandon qui succède aux tornades. Calme plat. Silence. Vide. Madame Gripoussier se reprend à vivre. Sous ses mains et ses genoux, éclatent les petites bobines plastiques de sa boîte à couture, qui gît, écrasée, sous les décombres du building des kilos de sucre...
<br />
<br />Naufragée d'un univers détruit, Madame Gripoussier est assise par terre, pour rassembler les épaves. Dans un grand carton, elle redépose, entremêlées, des poignées de sucre, de riz, de haricots et ses petits tourniquets de fils, machinalement, absurdement.
<br />
<br />Son cerveau bloqué lui refuse tout service. Elle a mal partout. Des lancinements fulgurent dans ses vertèbres, étirent ses ongles, jaillissent au coin de ses yeux, grésillent aux commissures de sa bouche, à la base des poils qui couvrent ses verrues.
<br />
<br />Pour donner moins de prise à la souffrance, elle bombe l'échine, ouvre et ferme les doigts, plisse les yeux, tord la bouche.
<br />
<br />Néanmoins, elle s'acharne à sa besogne.
<br />
<br />Durant longtemps, on ne perçoit que le bruit régulier des menues choses tombant dans le carton. Mais la monotonie du travail est accablante. Madame Gripoussier s'arrête. Elle est très fatiguée. Une somnolence l'envahit. Sa tête dodeline.
<br />
<br />... A la porte, un discret grattement. Un seul. Madame Gripoussier sursaute.
<br />
<br />... Sur la vitre de la fenêtre, un petit crissement. Rien qu'un. Madame Gripoussier se relève.
<br />
<br />... Dehors, dans le noir qui persiste, au long du mur de façade, un grand râpement qui n'en finit pas. De bas en haut. Madame Gripoussier entend les petites pierres qui se détachent, criblant le sol.
<br />
<br />... Là-haut, sur le toit, un xylophone de tuiles ! Madame Gripoussier se plaque contre le mur. Elle regarde le tuyau de la cuisinière qui s'agite, secoué de l'intérieur.
<br />
<br />Un souffle ouvre la porte du foyer rougeoyant.
<br />
<br />La Patte-Griffe paraît, magique, toute droite plantée.
<br />
<br />Là, là, là, en tous sens, elle court, saute, va, vient, rebondit. Les murs sont striés de haut en bas par la foudre. La Patte-Griffe se multiplie, cavalcade sur le sol, éventre les boîtes de carton, se glisse sous les meubles, y fourrage.
<br />
<br />Madame Gripoussier a une idée lumineuse. Elle crache :
<br />
<br />- <em>J'vais la leur coincer, leur sale patte !</em>
<br />
<br />Vite, vite, ô dérision, elle arme des pièges à souris qu'elle dispose un peu partout. Elle attend... Un piège claque. Elle se précipite. Il est vide. Mais sur le sol, plantée comme un pieu, la Patte-Griffe est là! Tous les pièges se déclenchent successivement. A côté de chacun d'eux, poussée toute droite, la Patte-Griffe !
<br />
<br />Madame Gripoussier se voit cernée de toutes parts.
<br />
<br />Elle pousse un hurlement démentiel et s'abat par terre, la bave aux lèvres...
<br />
<br />Quand elle ouvre les yeux, son réveil est arrêté. Il fait toujours aussi noir. Elle a perdu la notion du temps et, presque, la mémoire. Elle brûle de soif. Elle a faim aussi.
<br />
<br />Peureusement, elle regarde autour d'elle. Les Pattes-Griffe ont disparu.
<br />Madame Gripoussier se met debout. Mais elle se tient toute bossue, tant son dos est douloureux. Les doigts de ses mains et de ses pieds restent recourbés. Ses ongles ? Autant d'aiguilles lancinantes ! Auraient-ils grandi ? Elle croit sentir qu'ils lui rentrent dans les paumes.
<br />
<br />Mais c'est surtout au visage que se concentrent d'étranges souffrances. Elle éprouve la sensation d'un masque rigide qui se plaque sur sa face, qui s'incruste dans ses traits.
<br />
<br />Elle bondit vers ce qui reste de son miroir.
<br />
<br />Ah ! elle a une hideuse tête de chat, galeux et verdâtre. Ses yeux sont obliques. Les poils blanchâtres de sa bouche se hérissent tout droit. Elle recule loin de ça, marmonne :
<br />
<br />- <em>J'suis bien malade. Sûr ! C'est la grippe, ça. Ma tête est toute prise. La grippe. J'ai d'la fièvre. Sûr ! Oui, la fièvre, quoi. Faut te soigner, ma vieille, faut te soigner. Pas te laisser périr. Si tu comptes sur les autres. Ma pauvre, les autres, ah ! là, là... merci, oui, ah ! merci bien... Faut manger, d'abord. Reste de la bonne soupe...</em>
<br />
<br />Elle récupère une casserole dans les débris, retrouve la louche, va vers la marmite posée en dessous d'une étagère surchargée.
<br />
<br />Juste au-dessus, il y a une petite fiole, encore entortillée d'un fragment de journal.
<br />
<br />Mais voilà que Madame Gripoussier interrompt son monologue : elle vient de s'entendre parler.
<br />
<br />Sa voix ! Ce n'est plus sa voix !
<br />
<br />Dans son gosier, là, c'est une chose étrangère qui vibre...
<br />
<br />Elle essaye de parler, tout bas, pour bien se persuader.
<br />
<br />Elle s'arrête : sa voix miaule.
<br />
<br />(<em>à suivre : suite et fin</em>)
<br />
<br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/74-la-patte-de-chat-christia-sylf-16-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/69La Patte de Chat - Christia Sylf - 15/17urn:md5:4a57a4ac2ad01cb4e0785a414dd8170c2007-07-01T10:15:00+00:002013-07-13T22:36:31+00:00UroboreLa Patte de ChatChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme Madame Gripoussier, chez elle, regarde l'heure. Sept heures du soir, déjà. La lessive doit être sèche dans la cour. S'il pleuvait ? Il faut la retirer... Elle pousse sa porte, s'arrête au seuil, surprise : quelle nuit noire ! Sûrement, c'est bientôt la pluie. Elle sort, la porte repoussée tout contre, derrière elle. En deux pas se trouve franchie la zone de lumière qui filtre de la cuisine. La voici dans l'ombre de la cour, épaisse, sous l'aplomb des hauts murs hostiles.
<br />
<br />Elle n'est pas tranquille, Madame Gripoussier, pas tranquille du tout. Sa gorge se serre. Ses nerfs se tendent. Elle appréhende... Quoi? Elle ne sait pas... Elle est bien ennuyée et peste tout bas, parce qu'elle se dit que le linge aurait pu attendre à demain. Oui, mais, la pluie!... Après un arrêt d'une seconde, elle poursuit à tâtons. Jamais sa cour n'a été aussi profonde, aussi longue à traverser. Dirait-on pas qu'elle marche depuis des minutes entières ! Elle tend les mains en avant, un peu plus, parce qu'elle craint que quelque chose vienne à sa rencontre. Mais elle voudrait aussi les retirer, ses mains, pour ne pas toucher ce quelque chose.
<br />
<br />Et justement, voilà, ça arrive. Le quelque chose, blanchâtre, qui pend au bout d'une corde, arrive avec un grand ballant et la frappe en plein visage et continue à pendre, immobile, devant elle.
<br />
<br />Madame Gripoussier a grogné d'épouvante. Elle le voit, elle le voit bien, au bout de la corde, le petit tas pâle. Elle veut cracher son injure, dire : la petite salope, mais ça ne franchit pas ses lèvres parce que, d'un seul coup, fulgure sous son nez la Patte-Griffe qui accuse !
<br />
<br />Madame Gripoussier bat en retraite et se fige devant sa porte. Il filtre juste assez de lumière pour qu'elle distingue parfaitement, au plein centre du panneau, l'empreinte brûlée de la patte de chat, surmontée des stries de ses gries. Elle veut bondir pour rentrer chez elle, mais son pied reste en suspens : sur la marche de pierre, qui semble avoir fondu à ce contact, se dessine en creux la patte de chat.
<br />
<br />Madame Gripoussier saute par-dessus, sa porte claque. De l'intérieur, elle tourne ses verrous, pousse toutes ses barres, va pour caler une chaise contre le battant, retient son geste. Elle rit, s'assied sur la chaise, se frappe le front :
<br />
<br />- <em>Non mais, ça va pas, ma vieille, ça va pas !</em>
<br />
<br />Se mettre dans cet état pour une bête crevée ! Elle rit puis, bravache, tire ses barres et ses verrous, en marmonnant :«<em> J'voudrais bien voir, moi, si on m'la fait comme ça ! </em>»
<br />
<br />Justement : elle voit. Au-dehors, dans une nuit qui n'est pas une nuit mais du noir, le noir absolu, il y a un grouillement immobile de chats, aux prunelles de phosphore, côte à côte, serrés, entassés, depuis les marches de son perron, emplissant le chemin de ronde, et tout autour sur toutes les toitures, et en guirlandes sur toutes les crêtes des murs ; jusqu'en haut du donjon, leur marée statique déferle !
<br />
<br />Un unique miaulement, fait de toutes ces voix, salue l'apparition de Madame Gripoussier, tandis que toutes les Pattes-Griffe sont brandies !
<br />
<br />La porte a claqué. Là, les verrous, les barres, la chaise. Mais le miaulement traverse tout. La femme recule jusqu'au mur, les mains aux oreilles. Un temps se passe. Elle ose écarter ses paumes, écouter. Aucun bruit. Le silence. Elle marmotte :«<em>Ça va pas, non, ça va pas !</em> » d'un ton indigné. Elle a dû trop manger à midi. Elle frotte ses lunettes, en s'approchant à pas de loup de sa porte. Il y a là une petite fente, bien pratique pour épier. Elle y colle un oeil. Audehors, rien. Pas de brasillement nulle part. Pas un chat, c'est le cas de le dire. Elle glousse : c'est farce, alors, des idées pareilles !... Et elle rouvre sa porte.
<br />
<br />Horreur ! Les discordants éclats d'un immense et diabolique miaulement la saluent et s'envolent, en rafales d'échos qui dilatent l'absolue nuit ! Ils sont là, là, tous, plus encore, multipliés à l'infini par des jeux de noirs miroirs, ils sont des myriades qui s'étagent en gradins, de la terre au ciel, des chats, des chats impensables, aux yeux de flamme ! Partout, partout, les Pattes-Griffe se tendent, implacables, vengeresses... Malédiction, malédiction !
<br />
<br />Elle risque de mal dormir, cette nuit, Madame Gripoussier. Quand elle sort de l'hébétement qui l'a maintenue accroupie sur un tabouret, derrière le rideau du petit cagibi près de sa cuisine, elle ne sait plus où elle en est. Elle a la bouche pâteuse, et sa tête tourne. Qu'est-ce qui s'est passé ? Elle renonce à comprendre. Elle perçoit autour de sa maison la densité d'un extraordinaire silence. On dirait que tout s'est arrêté au-dehors. C'est tout à fait comme si sa maison était prise dans une noire gelée, une coagulation de la nuit.
<br />
<br />Allons, il faut dormir. Demain matin, elle ira mieux. Elle monte se coucher au premier étage. Et elle s'endort effectivement.
<br />
<br />... Elle s'éveille. Pas de lumière. « <em>Miaou ?</em> » dit une toute petite voix, qui interroge, dans un angle de sa chambre. « <em>Miaou ?</em> » s'étonne une autre voix, tout aussi petite, tout aussi anodine, la voix des petits chats familiers.
<br />
<br />- <em>C'est vous, mes petits minous ?</em>
<br />
<br />La voix de Madame Gripoussier tremblote. Elle a allumé sa lampe et se redresse vaguement sur ses oreillers, scrutant la chambre. Rien ne paraît. Mais d'autres miaulis gentils et humbles se proposent, dans un coin, dans un autre, sous l'armoire. Elle en entend dans l'escalier qui, presque, soupirent la même menue question :
<br />
<br />- <em>Miaou ?</em>...
<br />
<br />La serinette habituelle jaillit sur les lèvres de Madame Gripoussier :
<br />
<br />- <em>Ils sont là, mes petits minous, bonjour mes petits mi</em>...
<br />
<br />Elle n'achève pas : du haut en bas de sa maison, de la cave au grenier, au-dehors et sur le toit, c'est un hourvari miaulé qui déferle en tempête, discordant, énorme, féroce ! La maison en est pleine. Tout craque. Les portes de l'armoire s'ouvrent sous une poussée, le linge se vomit à terre tandis que des chats bondissent en riant !
<br />
<br />Ils s'envolent, les chats, les chats-volants et ils passent au-dessus de sa tête, ombres noires, griffues d'acier. Ils lui arrachent tous ses bigoudis !
<br />
<br />Elle s'est enfoncée dans le lit jusqu'au menton. Là, elle voit, à la fenêtre, les maigres museaux qui s'y collent du dehors. Et là, par terre, ils rampent, les chats, allongés sur le sol, étirés jusqu'à l'invraisemblance comme les chaussettes de la folie... Ils jouent à chat perché en la narguant. Hors de l'âtre, du sein des braisons, ils jaillissent comme des gerbes de flammèches noires...
<br />
<br />Des chats, des chats gratte-mur, des chats fouilletiroir, des chats marche-au-plafond, des chats je-me-balance-en-l'air. Ah ! ceux-là, ils la font gémir d'horreur, tous là, par-dessus, chacun au bout de sa cordelette, qui se balance et qui se balance jusqu'à la nausée. Passe et repasse. A droite, à gauche.
<br />
<br />A droite... Ils tournent, tournent autour du lit, en une ronde grinçante, si vite que les points lumineux de leurs yeux forment une ligne continue, éblouissante.
<br />
<br />Et là, sur Madame Gripoussier, l'édredon ! Il s'agite, dans une formidable contorsion : ils sont tous dedans ! Il explose ! Les plumes s'envolent parmi les chats libérés qui miaulent, miaulent de fous rires, avant de lui retomber dessus en pluie de griffes !... Et ils se sont glissés, investissant son lit, de toutes parts, sous les draps, le traversin, l'oreiller. Ils griffent ! Ils mordent !
<br />
<br />Madame Gripoussier a sauté à bas du lit, et tombe, tombe, tombe...
<br />
<br />Elle revient à elle, par terre, dans le noir glacial.
<br />
<br />Le premier sabbat de Madame Gripoussier était terminé. Le second allait lui succéder sans transition.
<br />
<br />(<em>à suivre</em>)
<br />
<br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/73-la-patte-de-chat-christia-sylf-15-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/68La Patte de Chat - Christia Sylf - 14/17urn:md5:4f762f0b6fe74f4b4b22ebdb387622ad2007-06-11T10:14:00+00:002013-07-13T22:36:11+00:00UroboreLa Patte de ChatChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme Quelques heures plus tard, nous étions tous réunis par nos signaux magnétiques. Nous nous dirigeâmes vers l'entrée secrète de notre sanctuaire, dans les ruines du château.
<br />
<br />Ce fut une longue plongée. Parfaitement silencieux, nous bondissions, les uns derrière les autres, en rangs serrés, la queue bien haute. Le clavier des marches dévalait sous nos pattes. Nous avions hâte de rejoindre le dessous, l'univers de la nuit, la profondeur aimée.
<br />
<br />Descendre ainsi nous enivrait car nous perdions peu à peu notre poids de dessus terre pour devenir légers comme plume. L'escalier se forait comme une vis vers la crypte engloutie, sous les racines occultes du château...
<br />
<br />De loin en loin, dans notre descente, nous croisions les gardes imperturbables dont les yeux flamboyants éclairaient tout autour d'eux. A notre approche, ils feulaient doucement pour signaler notre passage. Et les gardes postés plus bas leur répondaient de la même façon.
<br />
<br />Puis ce fut la crypte. Nous arrivâmes dans notre sanctuaire.
<br />
<br />Il y faisait vert comme dans le regard de Bastet l'Égyptienne. Une mousse épaisse, phosphorescente, couvrait le sol. Quand nous y mîmes la patte, le magnétisme tellurique satura nos fourrures.
<br />
<br />Dès l'entrée, rituellement, nous avions fait le gros dos.
<br />
<br />La voûte s'arrondissait en arc profond au-dessus de nous. Il y pendait des rideaux de filaments légers, également phosphorescents.
<br />
<br />Le calme sacré nous envahit. Nous nous assemblâmes, côte à côte, fraternellement, et entonnâmes Le Grand-Ronron. A voix contenue d'abord, puis de plus en plus largement, jusqu'à ce que l'hypnose dilatât nos yeux de voyants.
<br />
<br />Autour de nous, au long des murs, les momies de nos Prophètes et de nos Hiérophantes étaient devenues visibles. Elles nous entouraient de leur haute bienveillance et nous rappelaient notre fabuleux passé. Que de nobles figures ! Nous regardions, tour à tour, Paphnuce le Subtil qui assista Saint-Antoine lors de sa Tentation, Rapatoil aux Beaux Yeux qui possédait le point de vue de Sirius, Ponpata qui, le premier, découvrit les vertus du Grand-Ronron, et Gramino le Rabbi, avec ses apôtres : Nagrobis, Raminaud et la blonde Grippemina qui nourrissait dans sa grotte les souris et les petits oiseaux...
<br />
<br />Sans cesser le Grand-Ronron, toujours avec le même ensemble, nous commençâmes à danser sur place, en foulant la mousse épaisse où nos griffes, dégainées puis rétractées, s'enfonçaient rythmiquement. D'une patte sur l'autre, le balancement incantatoire se faisait. Nous pétrissions la matière astrale qui, maintenant, se dégageait en volutes abondantes. Toute notre assemblée ondulait, d'une houle puissante, sur quoi tonnaient les orgues du GrandRonron cosmique.
<br />
<br />Nous avions atteint l'état d'être voulu. La volupté mystique nous enivrait. Nous tenions nos regards rivés avec ferveur sur Grand-Chat, représenté au centre de notre autel, dans son symbolisme d'Égypte : assis, hiératique, entouré de fines bandelettes, un anneau d'or à la pointe de l'oreille. Ses divins yeux d'ambre, aux pupilles dilatées, nous emportaient dans son infinie vision.
<br />
<br />Alors, nos prêtres maigres, à longue fourrure plumeuse, s'avancèrent devant l'autel. Les gardes pieux les entourèrent en faisant flamboyer le feu vert de leurs yeux.
<br />
<br />Le cri de Bastet au printemps jaillit de toutes nos poitrines.
<br />
<br />Et Grand-Chat parut, dans sa splendeur, tenant unis le soleil et la lune derrière sa tête !
<br />
<br />La crypte avait disparu à nos sens exaltés. Nous flottions librement sur des nuées d'aube et de couchant. Le jour, blanc, se tenait à droite, la nuit, noire, se tenait à gauche. Au centre de l'univers, nous communions avec Grand-Chat !
<br />
<br />Les prêtres me soutenaient fermement car, presque, je défaillais. Mais je pus présenter ma requête.
<br />
<br />Je le fis en notre nom et aussi au nom de la Dame.
<br />
<br />Grand-Chat dit :
<br />
<br />- <em>Un humain vient sur terre pour comprendre la portée de ses actions sur autrui, en devenant capable de les refléter en lui-même. En accord avec la Hiérarchie Suprême, nous mettrons donc cette créature opaque en état de reflet</em>.
<br />
<br />Grand-Chat dit :
<br />
<br />- <em>La damnation de Madame Gripoussier se déroulera en trois sabbats qui s'enchaîneront l'un à l'autre, selon une procédure accélérée, devant la mener, par intime démonstration, à la compréhension finale de ses propres actes.</em>
<br />
<br />- <em>Que cela soit !</em> vocalisa le choeur vibrant de l'assistance.
<br />
<br />- <em>Cela est !</em> affirma Grand-Chat, avant de disparaître dans toute sa gloire.
<br />
<br />En effet, déjà, cela était...
<br />
<br />(<em>à suivre</em>)
<br />
<br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/72-la-patte-de-chat-christia-sylf-14-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/67La Patte de Chat - Christia Sylf - 13/17urn:md5:63042a7b5d8555c38ef54687b319723e2007-06-09T10:14:00+00:002013-07-13T22:36:03+00:00UroboreLa Patte de ChatChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme Je sentais mes forces me fuir et, pour me remettre un peu, j'allongeai le cou vers la nourriture que Cendrinet de la Luz n'avait pas touchée, ce jour-là.
<br />
<br />A peine eus-je esquissé cette tentative, que quelque chose fulgura en moi, mon esprit s'ouvrit, tandis que Grand-Chat m'apparaissait, jetant la PatteGriffe en travers du plat, en signe d'interdiction.
<br />
<br />- <em>Comprends</em>, tonna-t-il, <em>comprends que la femme verse la mort dans les aliments !</em>
<br />
<br />Je reculai d'un bond.
<br />
<br />Ce fut à ce moment que Madame Gripoussier, le visage empreint de diabolique satisfaction, entra dans la cuisine.
<br />
<br />Elle me vit et, me reconnaissant comme le témoin de son crime sur la petite chatte, elle me chassa à grands coups de torchon. Je dus fuir. Mais j'eus le temps de lui refaire la Patte-Griffe, ce qui eut pour effet de l'aplatir contre le mur, tandis que je passais en trombe.
<br />
<br />Je ne pus pénétrer le lendemain dans la maison, Madame Gripoussier était sur ses gardes.
<br />
<br />Mortellement inquiet, je passai la journée à guetter l'instant propice. Mais ce fut seulement le surlendemain que la porte s'ouvrit, en fin de matinée, suffisamment pour que je pusse entrer.
<br />
<br />D'ailleurs, Madame Gripoussier ne pensait guère à moi : elle regardait son salaire dans sa main et répétait :
<br />
<br />- <em>Ah ! merci, oui, merci bien, merci quand même...</em>
<br />
<br />Elle venait d'être congédiée.
<br />
<br />Je compris soudain que la gravité des événements avait dû dessiller les yeux de la Dame. Mais alors, Cendrinet de la Luz, mon frère ?...
<br />
<br />Je me ruai dans la maison. Une funèbre ambiance emplissait tout. Des sanglots déchirants me guidèrent.
<br />
<br />Hélas ! dans le bureau où pénétrait le soleil de midi, Cendrinet de la Luz se mourait. J'arrivai pour assister à ses derniers moments.
<br />
<br />Portant les stigmates des abominables souffrances endurées, il reposait sous des lainages, dans une boîte, près du feu. Je sentis que du froid entourait son corps. Déjà, il n'était presque plus de ce monde.
<br />
<br />Désespérément, sa Dame tentait encore de le soigner. Il acceptait tout, docile et doux. Des spasmes le secouaient. Je voyais monter la paralysie dans son cou. Ses mâchoires se serraient, bloquées par un épouvantable trismus.
<br />
<br />Le soleil de midi flamba plus fort. Je sus que le moment arrivait. Cendrinet de la Luz aussi, sans doute.
<br />
<br />Il se leva, tout raide, les yeux fixés sur la fenêtre. Il réussit à enjamber son carton avec précision et dignité. Une seconde, en pleine lumière, il fut debout, comme avant, sur ses hautes pattes élégantes, devant sa Dame à'genoux. Puis, il s'effondra sur le flanc. D'ultimes souffrances le ravagèrent. Il fut saisi de convulsions. Une seule plainte : de sa patte, avec un geste d'homme, il tentait d'ouvrir sa mâchoire bloquée ! En vain. Ses griffes s'enfoncèrent. Du sang coula.
<br />
<br />Sa Dame épouvantée gémit :
<br />
<br />-<em>Non, oh! non, Minet !</em>
<br />
<br />Il obéit. Mais une convulsion plus forte le jeta vers la douce main secourable où, sans le vouloir, il planta sa griffe et les crocs de sa mâchoire soudain ouverte et resserrée.
<br />
<br />La Dame accepta cette blessure : « <em>Oh! Cendrinet !</em> » pleura-t-elle.
<br />
<br />Comprit-il ? Il retira son étreinte aussitôt et mourut d'un seul coup. Il avait les yeux tournés vers le soleil...
<br />
<br />Non, des sanglot pareils, je n'en avais jamais entendu. Le chagrin humain est chose terrible.
<br />
<br />La Dame pleurait à genoux comme une perdue.
<br />
<br />Soudain, je n'en pus supporter davantage : « <em>Vengeance !</em> » cria mon coeur.
<br />
<br />J'apparus à la vue de la Dame.
<br />
<br />- <em>Madame, la mort de mon honorable frère, Cendrinet de la Luz, n'est pas vaine. Elle sauve votre vie. Mais vous serez vengés tous les deux. Ce crime ne restera point impuni longtemps. Je vais de ce pas, avec tous les miens, en appeler à la justice de Grand-Chat.</em>
<br />
<br />(<em>à suivre</em>)
<br />
<br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/71-la-patte-de-chat-christia-sylf-13-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/66La Patte de Chat - Christia Sylf - 12/17urn:md5:48ea8599491211c2141cb0da0dc8b82e2007-05-25T10:14:00+00:002013-07-13T22:35:53+00:00UroboreLa Patte de ChatChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme Il m'étonnait sans cesse et son humanité commençante me jetait dans des abîmes de perplexité. Déjà, il n'avait plus de mouvements, comme nous autres mais, véritablement, il faisait des « gestes », coordonnés, précis, volontaires, préparés par des intentions et les exprimant. Des gestes humains. Non, je n'exagère pas : humains !
<br />
<br />Je l'ai vu, Cendrinet de la Luz, vu, avec effarement. Je vous garantis que cela tenait du miracle. Il paraissait porté par quelque grâce d'état, il allait et venait, toujours gai, toujours doux, d'humeur toujours égale. J'entendis sa maîtresse déclarer que jamais il n'avait donné un seul coup de griffe, même dans son enfance joueuse.
<br />
<br />Ah ! qu'il avait donc des élans, de l'affection, des mutineries, de la prévenance, de la confiance surtout. Tout de sa Dame le captivait, il la contemplait discrètement, sans se lasser; il la respirait, détaillait ses attitudes, en cherchait le sens.
<br />
<br />Quand la Dame écrivait, il lui posait gravement sa patte sur le poignet, suivant tous les mouvements de la plume, sans rien entraver.
<br />
<br />Quand la Dame se maquillait, il la regardait, de très près, demandant à voir et à respirer, tour à tour, tous les petits éléments dont elle usait : le démaquillant, la lotion, la poudre. Il l'interrogeait du regard, ponctuant chaque objet de menues réflexions roucoulées sur le mode interrogatif et la Dame lui répondait, à moitié en chat, à moitié en paroles d'homme. Un merveilleux sabir ! ...
<br />
<br />Quand la Dame se reposait dans un fauteuil profond, il venait poliment quêter la permission d'un tendre sommeil qu'elle lui accordait toujours. Il sautait alors, tout léger, sur ses genoux et, loin de se rouler en rond, selon nos coutumes, il s'accotait contre elle, la tête sur son coeur et la patte doucement allongée jusque sur son épaule, en se baignant dans son regard qui souriait si volontiers.
<br />
<br />Quels ronronnements d'aise, il déroulait, Cendrinet de la Luz et comme la Dame riait soudain, à le sentir si béat.
<br />
<br />Elle disait: « Mon bonhomme de chat! » Et c'était beau, cette expression sur ses lèvres. Parce que c'était vrai : il était déjà un bonhomme, un bonhomme de chat...
<br />
<br />Je crois que la Dame était un peu fée : elle générait en lui, mystérieusement, cette humanité qu'il désirait tant...
<br />
<br />Et quand elle le prenait dans ses bras, il y demeurait, sur le dos, abandonné, les quatre pattes en l'air, la queue pendante, déroulée par sa paix, tandis qu'elle lui grattait doucement le haut de la poitrine, jusqu'à ce qu'il lui prît un doigt entre ses dents, sans jamais serrer, pour un baiser à sa manière, qu'il lui donnait longuement, sans la quitter de l'oeil.
<br />
<br />Et puis, souvent aussi, il avait un geste bien particulier, dont je ne m'expliquais pas le sens, mais qui me troublait. Il venait vers la Dame et il cachait ses yeux dans la paume de sa main... Les petits enfants des hommes font cela, je crois...
<br />
<br />Cependant, au long des jours, quelque chose changea dans leur ambiance. La Dame se reposa plus longtemps. Elle était pâle. Elle avait toujours soif. Elle me parut souffrir souvent. Elle mordillait ses lèvres sèches et déglutissait difficilement.
<br />
<br />Cendrinet de la Luz n'était pas bien non plus. Et même, je le jugeai d'instinct plutôt plus mal qu'elle. Pour la première fois, je vis de la détresse dans ses yeux. Il affectait de se tenir bien droit mais ses pattes devenaient raides et quand il passait près de moi, je sentais, avec horreur, qu'il se refroidissait.
<br />
<br />Quelques jours mornes passèrent. Cendrinet de la Luz ne quittait plus une boîte bourrée de délicats lainages, sur quoi se penchait, à tout moment, sa Dame.
<br />
<br />Je m'aperçus qu'il ne pouvait plus boire. La Dame lui présentait sa tasse, contenant de l'eau fraîche ; il refusait, d'un geste lassé, bien faible mais, étrangement, il demandait que la tasse fût posée près de lui.
<br />
<br />Et il restait là, le menton tendu, au-dessus de l'eau, comme si, mystérieusement, il en eût capté un peu l'humidité pour atténuer l'affreux dessèchement interne qui le rongeait.
<br />
<br />- Il est malade, le petit minou, alors, il est malade, le petit minou ?...
<br />
<br />Madame Gripoussier venait d'entrer dans le bureau. Elle avait laissé les portes entrouvertes derrière elle. Bouleversé, je bondis jusqu'à la cuisine.
<br />
<br />(<em>à suivre</em>)
<br /><br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/70-la-patte-de-chat-christia-sylf-12-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/65La Patte de Chat - Christia Sylf - 11/17urn:md5:a61f37477a5404e4162e2d8d7e2895862007-05-23T10:13:00+00:002013-07-13T22:35:34+00:00UroboreLa Patte de ChatChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme Il m'écouta, avec la gravité gracieuse qu'il apportait à toute chose. Puis, ayant réfléchi, il sourit :<br />
<br />
<em>« Que craindre, mon frère ? Je suis chez ma maîtresse. J'ai peu de contacts avec Madame Gripoussier qui est seulement chargée de me donner mon premier repas du matin, lorsque ma maîtresse se repose encore. Je ne tourne pas autour d'elle ni ne quête ses caresses. Je me préoccupe essentiellement de maintenir mon avance régulière vers cet aboutissement de Libération que vous savez. »</em>
<br />
<br />Il m'inspirait un immense respect, tant il brillait de foi et d'enthousiasme ! <br />
<br />Ah, j'en étais tout ému ; et je me félicitai fort d'avoir obéi à mon impulsion de rester discret.
<br />
<br />Mon admiration ne fit que croître. Je constatai que Cendrinet de la Luz et sa Dame avaient bâti un univers d'amour spirituel, où ils évoluaient ensemble, à l'aise, appliqués à ce que l'un profitât de l'autre, pour un progrès toujours plus grand.
<br />
<br />Dans cette ambiance qui me charmait, tout de la vie paraissait si pur et si facile que j'en vins à oublier mes craintes. J'eus même un peu honte de mes pressentiments. Madame Gripoussier, créature fruste, avait peut-être commis son crime à la manière dont elle cassait son bois, hargneusement, mais sans penser qu'elle détruisait là une structure animée ?
<br />
<br />La petite chatte n'aurait donc été pour elle que l'homologue d'un bout de bois ?
<br />
<br />Ah, je sais bien maintenant quelle absurdité c'était de penser comme cela ! Hélas, je voulais tellement que le bonheur se maintînt, que l'harmonie n'eût jamais été troublée !
<br />
<br />... J'estime à présent que je commis une erreur en relâchant ma vigilance. Bercé par ce doux climat de paix, mon sens critique s'exerça à retardement. Je croyais que le rayonnement de Cendrinet de la Luz et de sa Dame exorciserait la noirceur embusquée autour d'eux. Misère, je me trompais !...
<br />
<br />Cependant, je ne voyais rien, dans le comportement de Madame Gripoussier, qui fût ouvertement agressif. Elle accomplissait dans la maison ses tâches quotidiennes. Plutôt mal que bien : elle n'y apportait aucune concentration d'esprit, ses pensées étant toujours ailleurs. Mais la Dame était tolérante à la peine des autres et ne se permettait que des remarques très mesurées.
<br />
<br />Je pense que la servante profitait quelque peu de cette mansuétude pour se relâcher tout à son aise. Elle se parlait tellement à elle-même, dans un feu roulant de questions et réponses, qu'elle oubliait forcément plus de la moitié de son travail. Poussière et toiles d'araignée tapissaient de plus en plus tous les coins. Elle ne consentait à cirer les meubles qu'aux fêtes carillonnées très fort et les essuyait bien plus souvent avec la première serviette de table venue qu'avec le chiffon !
<br />
<br />Le domaine où elle semblait encore mettre tous : ses soins, c'était la confection des plats. Elle s'attardait à la cuisine. Je l'ai souvent regardée faire, sans y trouver à redire. Mais, nous autres ne sommes pas bons juges en la matière. Nous sommes conquis d'avance par les mystères envoûtants de la cuisine. Cette alchimie, si elle nous fascine, nous dépasse. Les successives opérations de son élaboration nous laissent pantois. L'allumage du feu est déjà, en soi, un pur prodige, que nous accueillons sans le comprendre. Les marmites, bouillottant parmi d'odorants effluves, nous plongent dans une béatitude hypnotique où se dilue l'anxiété fondamentale de notre nature.
<br />
<br />Madame Gripoussier, sous mes yeux, épluchait les légumes, accommodait les viandes et tournait des sauces compliquées qu'elle paraissait mettre un point d'honneur à toujours relever d'épices et de poivre ; ce que lui reprochait patiemment sa patronne qui se faisait assez aigrement recevoir sur ce chapitre.
<br />
<br />Ah, si j'avais su ! Si j'avais eu des connaissances humaines plus précises ! ... J'étais encore très ignorant. Combien je le regrette ! ... Une image sera à jamais gravée en ma mémoire... Dire qu'elle me parut alors si anodine, bien qu'elle excitât ma curiosité !... Oui, je la revois... Madame Gripoussier, lorsque la cuisson d'un plat était presque achevée, trottinait toujours sans bruit jusqu'à la salle à manger, voisine du bureau où se tenait la Dame. Là, elle écoutait si rien ne bougeait puis, vite, retournait à la cuisine. Et, plus vite encore, vite, vite, à gestes furtifs comme si elle se brûlait, elle tirait la fiole de sa poche et, vite, en versait une petite quantité dans la sauce.
<br />
<br />Elle faisait la même chose sur la nourriture de Cendrinet de la Luz. Je n'y comprenais rien... Invariablement, elle disait : <em>« Là, là, oui, c'est ça qui va être bon ! ... Qui c'est qui sera bientôt la bonne gouvernante, dans la belle maison ? Madame Gripoussier ! Et on ne discutera plus les façons de faire de Madame Gripoussier... là, c'est bon, ça, Madame, pour la petite mine et c'est bon, ça aussi, pour le petit minou, comme il va se régaler, mon petit minou !... »</em>
<br />
<br />Non, je ne comprenais rien car elle ajoutait alors sur les aliments de sa maîtresse, malgré la défense, du poivre, du sel, d'autres épices prises sur l'étagère.
<br />
<br />Je supposais qu'elle aussi, chez elle, se servait de la fiole... Cependant, jamais je ne la vis faire. Il est vrai que je n'étais quand même pas chez Madame Gripoussier de façon permanente. Elle pouvait très bien en user à d'autres moments.
<br />
<br />Malgré tous ses charmes de bruits et d'odeurs, la cuisine me lassa vite et je fus bien plus souvent le compagnon ignoré de la Dame et la présence secrète tacitement reconnue par Cendrinet de la Luz qui, parfois, me dédiait un sourire futé.
<br />
<br />(<em>à suivre</em>)
<br />
<br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/69-la-patte-de-chat-christia-sylf-11-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/64La Patte de Chat - Christia Sylf - 10/17urn:md5:6a1464a71f149879d6c96fa2730e26092007-05-21T10:13:00+00:002013-07-13T22:35:20+00:00UroboreLa Patte de ChatChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme Je renforçai ma veille... La maison d'en face m'attirait. Madame Gripoussier, ses brûlures guéries, continuait d'y travailler régulièrement. Je m'arrangeai pour m'y glisser, le plus souvent possible, à sa suite. Ce n'était pas difficile ; elle y voyait très mal et s'absorbait toujours dans ses discours chuchotés. Je sortais de la maison derrière elle, quand elle en partait, son travail fini et, toujours la suivant, je pénétrais chez elle, malgré ma répulsion.<br />
<br />Il fallait réunir tous les éléments d'une enquête sérieuse. Du danger planait...<br />
<br />Je vis s'altérer rapidement le comportement de cette femme. Tous ses particularismes atteignirent un paroxysme.<br />
<br />Certes, elle marmottait toujours, mais beaucoup plus vite, très bas, d'un ton de complot et de menace.<br />
<br />Le peu que je saisis de ses propos décousus ajouta à mon angoisse. Surtout que je ne parvenais pas à leur donner un sens bien précis, car, hélas, je ne les comprenais pas tous, loin de là. Mais enfin, il me semblait bien que la perversité de Madame Gripoussier concentrait ses sadiques rêveries de plus en plus sur sa patronne.<br />
<br />Elle disait toujours : « Sa vaisselle, sa vaisselle!... Et moi alors, hein, et moi ?... Ses meubles, ses meubles!... Et moi, hein, moi là-dedans, j'ai quoi, moi ?... Sa maison, sa maison!.,.. Pourquoi sa maison hein ? Ah ! merci quand même, oui merci bien ! J'peux la faire, sa vaisselle, j'peux les frotter, ses meubles, j'peux la tenir - comme elle dit - sa maison ! Ouais, j'pourrais la tenir, bien plus sûrement, c'est pas si difficile... Quand elle sera malade, qui c'est qui sera la bonne gouvernante ? Madame Gripoussier ! Et faudra bien alors qu'on passe par Madame Gripoussier !... Son petit air, sa petite mine... Dans pas longtemps, on va voir si elle l'a encore sa petite mine, haha, on va voir ça, hein mes petits minous, ils sont gentils mes petits minous, bonjour mes petits minous ! !... »<br />
<br />C'était intolérable. Et ce néon qui ronflait si fort et, partout, cette démence de boîtes et de provisions entassées!...<br />
<br />Elle commença de s'enfermer plus étroitement chez elle. Désormais, le moindre bruit la fit sursauter, immédiatement hagarde, les mains jetées en avant, presque recourbées en griffes. Elle n'était plus du tout à ce qu'elle faisait. A tout moment, lâchant son tricot ou sa couture, elle courut à sa chambre, au premier étage, ou descendit à la cave, comme pour surprendre quelque intrus à l'écoute. Elle guettait perpétuellement. Le tournoiement obsessionnel de ses pensées ne lui laissait pas de répit. Elle devint distraite, requise par des sortes de combinaisons mentales qu'elle rectifiait et recommençait sans cesse.
<br /><br />
Sa mise se négligea. Il lui arrivait de se promener avec un torchon à poussière, passé dans sa ceinture par-derrière et lui flottant sur l'échine. Bien souvent, les cordons roses de son corset pendirent de dessous sa jupe jusque sur ses talons.
<br /><br />
Elle eut un mauvais sommeil. Réveillée d'un seul coup, elle allumait sa lampe, puis l'éteignait, pour la rallumer presque aussitôt. Et ainsi de suite.
<br /><br />
Elle exécra les petits points brillants, tels ceux que reflète la panse d'un vase. Elle les écartait tous de sa vue, tirant les choses dans l'ombre, d'un geste excédé. Je la vis grincer des dents parce que les extrémités d'un couvert dans un saladier pointaient au centre de son champ visuel.
<br /><br />
Toutes les pointes tournées vers elle lui firent le même effet.
<br /><br />
Je pensai gravement que la malédiction des chats, la Patte-Griffe, n'est pas un vain mot...
<br /><br />
Se sentait-elle malade ? Elle emmena désormais chez sa patronne une petite fiole qu'elle remplissait régulièrement à une autre bouteille, puis qu'elle enveloppait d'un bout de journal et de son mouchoir, pour l'enfouir ensuite dans sa poche, plus que jamais gonflée d'objets hétéroclites.
<br /><br />
Je fis de longs séjours dans cette maison où Cendrinet de la Luz poursuivait son humaine initiation. Je passai des heures d'études à le voir vivre dans le privé en compagnie de sa Dame qu'il ne quittait guère.
<br /><br />
Dès le début pourtant, soucieux des bons usages, je me présentai à lui, toutefois à l'insu de la Dame car le moment ne me semblait pas venu de prendre avec elle un contact officiel. De plus, je répugnais à m'immiscer dans leur intimité comme un tiers. Je sais bien qu'ils m'auraient accepté aimablement en ami. Mais là n'était pas mon but. Je ne voulais pas risquer de fausser leur duelle ambiance.
<br /><br />
De toutes ces raisons, je m'en ouvris à Cendrinet de la Luz qui les admit bien volontiers et qui promit de respecter mon incognito. Ce qu'il fit d'ailleurs par la suite, sans faillir une seule fois; il semblait même ne pas avoir conscience de ma présence quand j'étais à deux pas de lui, sous quelque meuble.
<br /><br />
Je profitai de cette courte conversation pour lui glisser une petite, mais ferme mise en garde à propos de Madame Gripoussier.
<br />
<br />(<em>à suivre</em>)
<br /><br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/68-la-patte-de-chat-christia-sylf-10-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/63La Patte de Chat - Christia Sylf - 09/17urn:md5:5768bb498b24a0ae5d43defd300238b72006-10-22T10:13:00+00:002013-07-13T22:33:14+00:00UroboreLa Patte de ChatChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme Je me retournai. A la fenêtre de la maison d'en face, derrière le rideau soulevé, sa patronne avait tout vu. Elle était pâle comme la mort.
<br />
<br />... Je connaissais honorablement cette dame. Je la respectais d'autant mieux qu'elle exerçait des fonctions analogues aux miennes, observant, comme moi, les fluctuantes choses de la vie, témoin discret, hiérarchiquement inscrit et qui rendait compte à son Seigneur, lui-même créateur et suprême régulateur de notre Grand-Chat.
<br />
<br />Elle hébergeait chez elle, je le savais, un de mes frères, Cendrinet de la Luz, chat noble entre tous, fort avancé sur le chemin de la perfection. Il s'était depuis longtemps décidé à tenter notre Grand-Oeuvre, c'est-à-dire sortir de notre humble samsara des Chats qui, toujours, en chat nous réincarne.
<br />
<br />Elle, l'y aidait, de toute la puissance transformatrice de son amour humain. Ils s'avançaient l'un au-devant de l'autre, bien au delà de leurs respectives frontières, dans une sorte de terrain féerique où nul autre qu'eux-mêmes ne se risquait. Ils se rencontraient dans ce <em>no man's land</em> pour de propices échanges que favorisaient certainement les hiérarchies créatrices, toujours si curieuses des états d'être hors de pair.
<br />Cendrinet de la Luz et sa maîtresse se comprenaient donc tous deux parfaitement. Elle, était déjà un peu chat. Lui, devenait toujours plus humain. Chacun s'appliquait à refléter, en complément de sa propre nature, le modèle présenté par l'autre.
<br />
<br />C'était un édifiant spectacle que de contempler les progrès d'un mutuel enseignement. Ils évoluaient tous deux, avec sérénité, avec un naïf bonheur, avec une ferveur totale, hybridant leur mental, la grande âme humaine servant de nourrice à la petite âme animale préparant sa mutation.
<br />
<br />Je me souviens de quelle façon touchante la dame s'efforçait à prononcer les mots de notre langage. Cendrinet de la Luz était bon professeur. La nature l'avait doué pour la parole. La sienne était pure, extrêmement variée, bien articulée, musicale. Il respectait surtout merveilleusement, dans le récitatif, les écarts de ton qui donnent tout leur sens savoureux à notre prononciation.
<br />
<br />Il était fort patient, ne se lassant pas de répéter le même mot, en démontrant l'application de celuici, jusqu'à ce que sa maîtresse l'eût bien assimilé.
<br />
<br />... Toutes ces réflexions, je me les fis, et bien d'autres s'y enchaînèrent, le temps d'un éclair, en regardant la dame à sa fenêtre. Presque tout de suite, le rideau retomba.
<br />
<br />Elle ne m'avait pas remarqué. D'ailleurs, elle ne me connaissait pas... pas encore.
<br />
<br />Après ce crime épouvantable, je ne sus pas ce qui se passa entre la dame et sa femme de ménage.
<br />
<br />Madame Gripoussier n'alla point travailler cet après-midi-là et durant plusieurs jours. De la graisse bouillante avait jailli de sa poêle au moment où elle y versait des pommes de terre... Cela fit sur ses mains des stries rouges, parallèles.
<br />
<br />Oui, c'était tout à fait comme des griffes de chat.
<br />
<br />Je décidai de prendre, pour un temps indéterminé, une résidence fixe dans le chemin de ronde, à proximité immédiate du palier.
<br />
<br />Je ne pus m'empêcher d'adjurer mes insouciants congénères d'observer la plus extrême prudence et de mettre beaucoup de retenue dans leurs relations avec Madame Gripoussier. J'appuyai peut-être trop sur les discours. Il me parut que je lassai. Certains m'écoutèrent et se souvinrent, mais d'autres oublièrent, trop vite à mon gré, la mort de la petite chatte. Ensuite, quand je voulus rafraîchir les mémoires, ne fût-ce que par une simple allusion, je m'aperçus qu'on me regardait de travers. J'étais mal venu d'aborder ce sujet. Eux, ils ne se l'expliquaient pas, tout simplement. Ils avaient l'impression d'une erreur de leurs sens ou d'une mauvaise interprétation des faits. Presque, ils en doutaient.
<br />
<br />Hélas, l'attrait de la nourriture est immense : quel animal pourrait penser que la main qui le nourrit est criminelle ?...
<br />
<br />Je dus me taire.
<br />
<br /><em>(à suivre)</em>
<br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/67-la-patte-de-chat-christia-sylf-09-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/62La Patte de Chat - Christia Sylf - 08/17urn:md5:756123966f5aaffa61e5462dd5a6a6822006-10-17T10:13:00+00:002013-07-13T22:33:05+00:00UroboreLa Patte de ChatChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme J'avais la tête perdue. Je pantelais dans mon coin, sans comprendre, sans pouvoir, sans vouloir. Du dehors me parvenaient des bruits vagues, menus crissements, légers chocs. Je n'arrivais point à les revêtir de leurs significations. Une sorte de piétinement ponctua ces bruits, puis un halètement nerveux. Atroce, un cri de chatte fusa, coupé net, tandis qu'à nouveau le torrent verbal éclatait :<br />
<br /><em>- Alors, salope, tu crèves, dis, tu te décides, hein, salope, vas-tu crever !</em><br />
<br />Dans une explosion de tous mes sens, j'avais bondi sur la crête du mur. Je voyais l'impensable. Là dessous, dans la cour, entre la lessive et les pots de fleurs : Madame Gripoussier tenait à bout de bras la cordelette avec la chatte blanche pendue par le cou. Elle vivait encore, la pauvrette, et se débattait. Sans cri, sans souffle, elle réussissait ce miracle de désespoir de regrimper de toutes ses griffes au long de ce trop mince appui ! Oui, elle regrimpait, sous les yeux incrédules de sa tortionnaire, haussant désespérément sa gueule rose vers une impossible goulée d'air.<br />
<br /><em>- Salope, salope !</em><br />
<br />Madame Gripoussier donnait des secousses brusques à la cordelette pour faire retomber sa victime. Elle était effrayée, n'osant approcher l'autre bras de crainte des coups de griffes mais néanmoins, hors d'elle, elle jouissait de la chose, bouche mouillée, flageolant sur ses jambes, hypnotisée par le spectacle de cette agonie. Elle donnait des secousses et des secousses pour décrocher ce petit corps blanc, convulsé dans sa remontée.<br />
<br />Une première fois, la chatte céda. Elle pendit tout à coup, en bas de la cordelette, pattes écartées. Elle tournoyait doucement au bout du bras qui la portait. Je la crus morte. Mais, soudain, elle fit un bond prodigieux, atteignant presque la main de Madame Gripoussier qui cria brièvement, peureuse. La chatte cramponna ses griffes dans la cordelette, relâchant ainsi, une seconde, l'étranglement. Elle n'avait plus de forces. Ses yeux étaient ternis. Elle glissa lentement, se retint.<br />
<br />Ce fut alors qu'elle me vît. Toute sa conscience flamba dans son regard. Et, me prenant à témoin de son injuste supplice, dans son dernier effort, elle fit le Geste Terrible : elle leva sa patte de devant, en direction de son bourreau, toutes griffes sorties, en suprême appel à Grand-Chat. Solennellement, en réponse, je levai ma patte. Elle eut le temps de comprendre. Puis, elle lâcha tout. Au bout de la cordelette son cou se brisa. Elle mourut, délivrée, molle épave de fourrure blanche.<br />
<br />Mon poil se hérissait. Grand-Chat apparut dans la nue. Je levai derechef ma Patte-Griffe. Madame Gripoussier qui ne bougeait pas, hébétée, tenant toujours son crime à bout de bras, me vit au-dessus d'elle, dans cette pose, auréolé de puissance vengeresse, la désignant à la vindicte de Grand-Chat.<br />
<br />Une abjecte peur déforma ses traits. Sa bouche s'ouvrit. Aucun son n'en sortit.<br />
<br />D'un geste d'une violence incroyable, véritable explosion de rejet, elle lança au loin, dans les ruines, le cadavre de la chatte blanche au bout de la cordelette.<br />
<br />Elle me fit face, pourtant.<br />
<br /><em>- Tu vas te sauver, dis, tu vas te sauver ou je te fais ton affaire !</em><br />
<br />Elle ne le pouvait pas. J'étais trop haut. J'intensifiai vers elle la menace occulte de la Patte-Griffe et je feulai sur cette créature la malédiction des chats.<br />
<br />Madame Gripoussier parut apercevoir quelque chose, en haut, derrière moi.<br />
<br />Elle s'enfuit, tout à trac, battant en retraite dans son repaire.
<br />
<br />(<em>à suivre</em>)
<br />
<br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/66-la-patte-de-chat-christia-sylf-08-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/61La Patte de Chat - Christia Sylf - 07/17urn:md5:6c7ed7ad64b12b508b63edf4e542a2022006-05-06T10:12:00+00:002013-07-13T22:26:36+00:00UroboreLa Patte de ChatChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme J'aurais voulu fuir cet antre de perdition. J'y sentais rôder des miasmes délétères, vieux rêves sadiques, volutes venimeuses d'un esprit rancuneux qui les distillait là, à longueur de temps. Mais il ne m'était pas possible de bouger. Le malaise, la proximité du danger me clouaient sur place. Nous autres chats, les fortes émotions nous inhibent... Les muscles tétanisés, je ne pouvais que rester aplati dans ma cache et endurer jusqu'au bout mon devoir de Veilleur, en témoin horrifié.
<br />
<br />J'adressai mentalement une ardente supplication à Grand-Chat. M'entendit-il ? J'étais vidé de toute force psychique. Il me parut donc que mon invocation, pas plus que moi-même, ne trouvait à sortir de cette maison.
<br />
<br />Madame Gripoussier s'était mise à distribuer de la nourriture. A du riz cuit, elle mélangeait maigrement de la pâtée pour chats qu'elle tirait de boîtes de conserves. Elle en avait des piles...
<br />
<br />Mes congénères commencèrent à manger, dans l'innocence de leurs habitudes. Penchée, cassée en deux par-dessus, elle les caressait, tour à tour, à gestes saccadés. Ses yeux pâlissaient de plus en plus tandis qu'elle bredouillait sa litanie :
<br />
<br />- Alors, mes petits minous, ils ont faim, les petits minous, ils mangent bien, les petits minous, alors, mes petits minous...
<br />
<br />Son ressassement me jetait hors de moi. Ses intolérables redites me vrillaient le crâne. Je remarquai quand même qu'elle avait conservé sa baguette à la main. Elle n'oubliait pas la chatte. De temps en temps, furtivement, son regard biaisait jusqu'au buffet. Un mince sourire, affreux à voir, lui tirait un peu la lèvre. Elle poursuivait sa série de :« C'est bon, les petits minous, hein, les petits minous, ils mangent bien, les petits minous... »
<br />
<br />Je sentis ma tête sur le point d'éclater. La folie ne me gagnait-elle pas? Une montée de fièvre crépitait dans mes poils. Je me demandais si ce n'était pas là quelque antichambre de l'enfer des humains où, nous autres chats, étions par erreur fourvoyés.
<br />Je n'eus pas le loisir de poursuivre ma réflexion. La petite chatte blanche, visiblement affamée, sortait en rampant de dessous le buffet. Madame Gripoussier la voyait parfaitement. De nouveau, le sourire joua sur sa bouche. Mais elle ne marqua ostensiblement aucun signe d'alerte, jusqu'à ce qu'elle jugeât l'objectif à sa portée.
<br />
<br />Alors, elle se détourna, abattant sa baguette qui siffla, avant de cingler.
<br />
<br />Un cri de rage : une fois encore, la chatte esquivait ! La femme fourragea derechef, avec une fureur accrue, de sa baguette sous le buffet. En vain. Elle se releva, geignante, une main aux reins. Son visage s'était marbré, son nez, pincé. Dérangé, le bandeau de ses cheveux lui donnait l'air grotesque. Sur ses épaules, sa pèlerine pendait de travers. Elle ne s'en apercevait pas, tout à sa rage :
<br />
<br />- Salope, petite salope, tu vas y passer, j'te le dis, moi, j'te le promets, t'y passeras, t'y passeras, et bientôt encore, tu perds rien pour attendre... viens-y voir, ma minette, viens-y voir, mon petit minou... il est gentil, le petit minou...
<br />
<br />La bouche mauvaise, elle émettait traîtreusement ce bruit d'invite, si proche du baiser des hommes, qui universellement nous appelle !
<br />
<br />Je voulus intervenir. Impossible. Ma nouure ne me lâchait pas !
<br />
<br />La chatte rampa sous le meuble. Son mince visage était pathétique. Ses yeux se dilataient d'émoi. On l'appelait ! Mais elle n'osait encore bouger, terrifiée par l'incompréhensible tempête, encore si proche.
<br />
<br />Éperdue, tiraillée, elle se remit à miauler. Sa voix était grêle, rendue discordante par son trouble.
<br />
<br />- Salope ! cracha tout bas Madame Gripoussier qui renouvela ses invites : « Viens, ma petite minette, viens vite vers ta mémère. »
<br />
<br />Un tic nerveux trémulait sur sa joue... La chatte apparut.
<br />
<br />Rapide, la femme l'empoigna par la peau du cou, l'enroula aussitôt dans son châle, saisi à la volée. Terrifiée, la chatte miaulait, miaulait, aigrement. Rien ne semblait devoir l'arrêter. Mais Madame Gripoussier, elle, se taisait, en fouillant de la main dans une de ses boîtes. Ses lèvres étaient si serrées qu'elles barraient d'une entaille d'ombre le bas de son visage. Elle tira une cordelette de la boîte et, d'un élan, tenant la chatte, sortit dans sa cour.
<br />
<br /> (<em>à suivre</em>)<br />
<br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/65-la-patte-de-chat-christia-sylf-07-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/60La Patte de Chat - Christia Sylf - 06/17urn:md5:6580cbac796d57361c38018a63c2a1e32006-05-05T10:12:00+00:002013-07-13T22:23:45+00:00UroboreLa Patte de ChatChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme L'intérieur de sa maison était extraordinaire. J'en eus le souffle coupé et je dus me tapir dans un coin pour parvenir à assimiler ce que je voyais.
<br />
<br />Autour de moi, confusion et incohérence brassaient en tous sens le plus complet désordre. Les éléments les plus hétéroclites s'entassaient là, se chevauchaient là, en de surprenants voisinages, en des équilibres instables et surtout en redites, car tout ici se répétait. Chaque chose était doublée, triplée, quadruplée. Il n'y avait pas d'élément isolé ou seul de son genre.
<br />
<br />C'était l'illustration exacte du langage de cette femme qui, lors même qu'elle se déshabillait, enlevant le châle qui couvrait la pèlerine posée sur sa veste qui protégeait son tricot par-dessus sa robe, continuait de parler, poursuivait, de rebond en rebond, la coulée écumeuse des mots hors de sa bouche, avec des reprises, des redites, des remâchages. Elle hochait la tête. Ses yeux pâles fixaient le vide.
<br />Oui, c'était cela sa maison : l'homologue de son langage. C'était aussi le miroir terrifiant qui reflétait l'intérieur de sa tête.
<br />
<br />Comment bien vous le décrire ?... Imaginez - dans le plus étroit espace d'une petite pièce confinée, voûtée de plafond, parfaitement aveugle car l'entassement bouchait les fenêtres - imaginez des meubles posés n'importe comment, à touche-touche : buffet - table - chaises - canapé - mannequin de couture - cuisinière - réfrigérateur - évier, avec juste un chenal de passage, à peine de quoi se glisser en biais. Imaginez sur tout cela, dans la poussière, des boîtes, des cartons, des caisses, de toutes natures, ouvertes ou closes, pleines ou vides, ou contenant d'autres boîtes plus délirantes encore, au milieu de conserves écroulées, de paquets de riz et de kilos de sucre, de journaux, de linge roulé, de tas de clous rouillés, le marteau et la tenaille avec les couverts sales, sur quelques pommes de terre en cours d'épluchage.
<br />
<br />Imaginez, imaginez, ça ne sera jamais assez ! Vous resterez toujours en deçà.
<br />
<br />Je me sentais au bord de la panique. Mes congénères, plus habitués que moi, s'étaient répandus ; ils dormaient dans les boîtes, perchaient sur la table, léchaient des assiettes à terre, entre les plats de sciure et les flottilles de pantoufles.
<br />
<br />Non, croyez-moi, il ne convient pas de sourire. Le spectacle eût pu être drôle : il était affreux. Sur le tout, la clarté livide d'un néon mal réglé palpitait et bourdonnait sans trêve.
<br />
<br />La petite chatte n'avait pas cessé de miauler. Mieux, inconsciente, elle dansait sur place, levant les pattes, l'une après l'autre, dans un mouvement roulé, tendant son museau ingénu, juste entre les jambes de Madame Gripoussier.
<br />
<br />Celle-ci s'en aperçut, tout d'un coup, émergée de ses hantises. Son visage grimaça. Elle eut un geste bref, violent, tout de rage concentrée : le torchon qu'elle empoigna s'abattit avec un claquement sec. Mais ce fut raté. La petite chatte avait évité le coup, par un de ces réflexes dont nous avons le secret. Elle était déjà réfugiée sous le buffet que la femme fulminait encore, furieuse d'être déjouée :
<br />
<br />- T'as pas fini, non, t'as pas fini ta musique ?... Elle m'énerve, celle-là, avec son petit air, avec son petit genre... Et miou, et miou !... Que j't'y reprenne à te fourrer dans mes jambes! ... C'est qu'elle me ferait tomber, la salope... C'est ça que tu cherches, hein, avec ton petit air ?... Et miou, et miou ! Une vraie petite princesse qui voudrait voir la pauvre femme par terre, hein, c'est ça ?... Alors, tu dis plus rien ?... Qu'est-ce qu'elle mijote, la petite charogne ?...
<br />
<br />La chatte se taisait, immobile, rencognée au plus profond de son abri. Néanmoins, je voyais ses yeux : elle ne comprenait pas ce qui se passait, les intentions de la femme ne lui étaient pas perceptibles.
<br />
<br />Madame Gripoussier fourrageait sous le meuble à l'aide d'un bâton :
<br />
<br />- Tu vas sortir, dis, tu vas sortir, petite carne ! J'vais te la faire, ton affaire ! On va voir si tu l'auras encore, ton petit air, ton petit ton, et miou, et miou !
<br />
<br />Elle s'y prenait mal. La chatte restait hors de portée. Alors, elle se releva. Ses prunelles papillotèrent, en se posant sur tous les chats, son torrent verbal se modifia, tandis qu'elle leur parlait, d'une voix melliflue, insistante, bizarrement chantante :
<br />
<br />-Ah, ils sont là, mes petits minous, bonjour, mes petits minous, ils vont bien, mes petits minous...
<br />
<br />Elle me fit peur et j'augurai soudain les plus grands malheurs. Mes congénères me parurent de la dernière imprudence. Se pouvait-il qu'ils fussent si naïfs ? Comment les mettre en garde ? Ils étaient, pour la plupart, bien jeunets. L'attrait de la nourriture, que cette femme leur dispensait, masquait complètement pour eux les terribles tendances que je devinais s'agiter en elle.
<br />
<br />(<em>à suivre</em>)
<br />
<br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/64-la-patte-de-chat-christia-sylf-06-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/59La Patte de Chat - Christia Sylf - 05/17urn:md5:f6ee43cf21f2019d0beada7621971fe72006-05-04T10:12:00+00:002013-07-13T22:21:21+00:00UroboreLa Patte de ChatChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme Sitôt la porte tirée, elle se mit à marmotter, à petites phrases courtes, hachées, rancuneuses. Sa physionomie avait une expression tendue, presque hantée.
<br />
<br />Je la trouvai drôlement accoutrée. Les vêtements, sur elle, avaient je ne sais quoi de sinistre. Ce n'était pas tant le fait qu'ils fussent tout noirs. Mais, surtout, ils semblaient moins la revêtir que la dissimuler. Et, tout en la cachant, néanmoins, ils l'exprimaient complètement. Ils étaient nettement funèbres, bien sûr. Mais là encore, moins comme un deuil porté que comme un uniforme rattaché à la mort. Je remarquai, en outre, que tous leurs plis grimaçaient. La jupe pendait. La blouse grinçait. Le châle tricoté s'embusquait. Le tablier, ce prolétaire, maudissait ses poches gonflées et, en même temps, les couvait comme des ceufs. Le fichu sur la tête se faisait pansement migraineux.
<br />
<br />Rien n'était à sa place sur cette femme. Mieux, les différentes pièces de son habillement se toléraient à peine, se détestaient, dans une totale disharmonie.
<br />
<br />Cela vous paraît peut-être outrancier ? Vous autres humains, ne voyez pas comme nous. Vos yeux ont une plus faible acuité que les nôtres, capables de se dilater ou de se rétrécir à l'extrême. Et puis, vous projetez souvent vos raisonnements préalables comme un voile devant votre regard. Croyez-moi, les chats savent lire les intentions des aspects extérieurs car, par nature, nous tirons beaucoup de renseignements dans les différents aspects que prend le pelage de nos congénères.
<br />
<br />Si cette dame avait été une des nôtres - ce qu'à Grand-Chat ne plaise, car elle ne nous aurait certainement pas fait honneur! - elle eût arboré, comme vivante transcription de sa nature, une ignoble fourrure de relapse, roussâtre, pelée, au poil terne, collé en touffes, tous indices de mauvaise conscience.
<br />
<br />Madame Gripoussier évoquait la sécheresse, le fané, la poussière, le ressassement, le rideau tiré. Et moi je discernai au delà, derrière tout ce brouillard, la permanence d'un feu de colère secrète, sur les brasillements duquel venaient soudain fulgurer les livides stridences des actes possibles...
<br />
<br />Présentement, Madame Gripoussier fouillait dans son cabas, à la recherche de ses clés. Ce faisant, de guingois, elle traversait le palier plat des marches, pour se planter devant sa porte, juste en dessous de mon mur. Elle n'avait pas cessé de se parler à elle-même, entre ses dents, furieusement.
<br />
<br />Les chats de ma famille, à qui elle octroyait nourriture, s'étaient rassemblés autour d'elle. La petite chatte blanche commença son habituel miauli, le nez levé, pathétique, enfantine, pressante.
<br />
<br />Madame Gripoussier, toute à ses recherches de clés et à ses marmottements, ne prêtait encore attention à rien. Elle eut un brusque regard peureux vers la fenêtre de sa patronne. Rien n'y paraissant, elle hocha la tête et accéléra son débit :
<br />
<br />- Il ferait beau jeu qu'elle se montre ! Ah, merci, oui, merci bien. Madame se permet de me conseiller : mettez de la cire comme ci, il vaut mieux frotter comme ça. Et : trop sales, vos chiffons, changez-les... Les changer, les changer ? ah, merci, oui, merci quand même... Ferait beau jeu... Non, c'est pas vrai, que je lui dis, non j'les casse pas, les boîtes plastiques... Ça se casse, les boîtes, ça se casse tout seul... ah, merci, son petit air ! Faut voir... Voyons, qu'elle dit - non mais faut voir cette sucrée ! - voyons, ça ne se casse pas tout seul, des boîtes, ne me racontez pas de bêtises... ah, merci, oui, merci bien... Les changer, les changer ?... des chiffons !... Et ça me donne des conseils, avec son petit ton, avec son petit air. A moi, des conseils, merci quand même !... C'est comme la vaisselle, j'sais la faire, non ? Rincez bien, qu'elle dit... De quoi j'me mêle!... on verra bien, un jour, si elle l'a encore son petit air, ouais... Et son petit ton, j'lui ferai changer, moi, son petit ton... qu'elle y vienne, qu'elle y vienne m'en remontrer!... ah, merci, oui, merci quand même !
<br />
<br />Elle ouvrait sa porte, rentrait chez elle. Les chats la suivirent. Je me faufilai parmi les derniers, sans me faire remarquer.
<br />
<br />
(<em>à suivre</em>)
<br />
<br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/63-la-patte-de-chat-christia-sylf-05-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/58La Patte de Chat - Christia Sylf - 04/17urn:md5:840b6cedd973618fa61e09190c116a6e2006-05-02T10:11:00+00:002013-07-13T22:14:27+00:00UroboreLa Patte de ChatcachéChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme En cet état de pensées, la mine peut-être un peu chiffonnée, je traversai, sans trop m'en rendre compte, les petits groupes de ma proche famille, occupés à se délasser au soleil. On eut le bon goût de ne pas interrompre mon évidente méditation. Les conversations baissèrent d'un ton. Les gestes de la toilette s'alentirent, se suspendirent. Toutes les têtes étaient tournées vers moi.<br />
<br />Sans piper, je gagnai ma place réservée qui se situe entre deux maisons resserrées, juste au-dessus du chemin de ronde, là où les marches forment une manière de large palier. Le mur qui m'accueille est creusé de caches ; sa crête éboulée offre des berceaux tapissés de mousse et de fougères. Je soupirai d'aise en y retrouvant ma rémanence que personne ne s'était permis de troubler depuis mon dernier passage. J'en sus gré à ma famille et, pour l'en remercier, je consentis à quelques menus échanges de nouvelles, tout en accomplissant ma première toilette.<br />
<br />Le climat général se détendit, sans pour autant que l'intérêt eût faibli : les ronronnements reprirent du côté des jeunes que les mères s'étaient remises à bichonner.<br />
<br />Petite Grand-Mère Miouk, notre ancêtre vénérée, que l'âge rapetisse et rend pareille à un chaton fripé, se faisait le porte-parole de tout le monde. De son filet de voix aigrelet, elle m'assura d'abord de la compréhension générale, me disant que mon état ne surprenait personne car tous ici avaient enregistré des ondes prémonitoires. Elle-même, toute cassée qu'elle fût, détectait alentour des intentions volantes, des crissements de pensées, des tournoiements d'humeur.<br />
<br />- <em>Cela vient d'un humain</em>, affirma-t-elle et elle ajouta : « <em>La nuit, hors du sommeil de cette maison </em>(elle désignait celle qui jouxtait notre mur)<em>, des volutes astrales se dégagent, lourdes, rampantes. Je ne sais quelle signification leur donner. Elles me semblent chercher, chercher seulement, une issue peut-être ? car elles se reploient souvent sur elles-mêmes comme des choses de lassitude... Ou bien elles cherchent une proie ? Je les vois se détendre comme des lanières dont le bout se recourbe. Mais elles se cassent, elles s'effritent, elles retombent, informes. Elles pendent alors, durant toute la nuit, comme des draps humides, de malsaines lessives, sur la porte, sur le mur...</em> »<br />
<br />Les chatons se cachaient sous leurs mères. Nous étions réellement effrayés et je dus faire taire notre trop pénétrante aïeule, tout en me répandant en bonnes paroles dont je ne croyais pas un traître mot. Mais il importait de rassurer.<br />
<br />On m'écoutait. Tout en parlant, j'avisai, dans un coin, un peu à l'écart, une petite chatte blanche. Elle était très jolie. Mais son air gracile, son manque de défense me firent éprouver un subit sentiment de pitié. Elle m'apparaissait comme un de ces êtres trop affinés sur quoi plane un destin cruel. Je la connaissais pour avoir déjà remarqué la façon naïve et pressante dont elle venait miauler à la porte de la maison proche.<br />
<br />Un élan me souleva. Je voulus l'interpeller, afin de la mettre en garde. Mais je n'en eus pas le temps : la porte de la maison d'en face s'ouvrit.<br />
<br />Du clocher proche, les douze coups de midi déferlaient en sonores roulements d'un toit à l'autre. Je m'aplatis dans mon coin. La moitié de ma famille s'était égaillée. L'autre moitié s'apprêtait à se porter au-devant de l'arrivante.<br />
<br />Celle-ci, c'était Madame Gripoussier. Elle venait de terminer le ménage du matin chez sa patronne.
<br />
<br /><em>(à suivre)</em>
<br />
<br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/62-la-patte-de-chat-christia-sylf-04-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/57La Patte de Chat - Christia Sylf - 03/17urn:md5:661a3e01bca145991b4281a4ec1121122006-04-29T10:11:00+00:002013-07-13T22:09:20+00:00UroboreLa Patte de ChatcachéChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme Les événements que j?enregistrais là y étaient toujours plus significatifs et, surtout, plus déroutants que partout ailleurs. Tout y prenait une saveur particulière. Le quotidien même, dans sa plus absolue routine, s?y paraît d?étranges magies, nées des interactions de deux univers.
<br />
<br />Voilà pourquoi, au chemin de ronde de Saint-Levant, la divine présence de Grand-Chat se faisait sentir mieux que partout ailleurs.
<br />
<br />Il est connu que tous les chats du monde rendent leurs dévotions à Grand-Chat : ça, c?est de l?exotérisme. Mais je puis, sans me vanter, affirmer que, nous autres, sommes ses plus proches fidèles et presque le corps de sa prêtrise occulte. Nous sommes les représentants de son ésotérisme.
<br />
<br />J?ai ouï dire que vous appeliez Grand-Chat notre Esprit-Groupe ou notre Ame-Groupe, c'est-à-dire le divin réservoir de notre espèce, le dieu qui nous conserve et nous représente.
<br />
<br />C?est assez juste. Il est notre vivante demeure cosmique aux multiples alvéoles. Notre au-delà des chats brille, entre le soleil et la lune dont la double lumière fait nos délices. En mourant, nous nous évaporons, hors de notre peau et Grand-Chat nous accueille, recevant de nous la totalité de notre expérience qu?Il répartit ensuite, également, à travers toutes les âmes-chats qui Le composent ; celles-ci, émanées de nouveau vers la terre, profiteront donc, à chaque incarnation, de ce partage équitable. Ainsi, tout ce que nous faisons, tout ce que nous apprenons, profite à l?ensemble.
<br />
<br />Nous sommes les cellules de Grand-Chat, déléguées sur terre. Nous n?existons que par Lui, dans la cohésion suprême de son unité. Mais Il n?existe Lui-Même que par la multiple adhésion de tous nos petits nous-mêmes, dans notre diversité qui, cependant, est Une?
<br />
<br />Mais, trêve de philosophie, je bavarde, je bavarde, autant que les cornemuses des pleines lunes de nos érotismes !
<br />
<br />J?allais donc, certain matin comme d?habitude, à mes affaires. L?air était léger, un peu mou, annonciateur du printemps proche. Sur les toitures de lourdes tuiles romanes, les habituels jardins de pariétaire repoussaient. Un soleil d?une blondeur grise tiédissait mon chemin sur les crêtes accidentées des vieux murs.
<br />
<br />Je me sentais bien, quoique d?humeur rêveuse, moins enclin que jamais aux folâtreries dont ma famille se croit obligée de m?accabler, lorsque je parais.
<br />
<br />A vrai dire, mes sens étaient en alerte. Des risées indéfinissables parcouraient mon poil. Je captais des grésillements à la pointe de mes moustaches. Et, par l?antenne de ma queue jusqu?à mon cerveau, des impulsions venues de la sphère de Grand-Chat m?incitaient à la plus grande attention.
<br />
<br />Ce jour ne se passerait pas sans événement !
<br />
<br />(<em>à suivre</em>)
<br />
<br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/61-la-patte-de-chat-christia-sylf-03-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/56La Patte de Chat - Christia Sylf - 02/17urn:md5:93d1f481144a4aa0e11a34a71a1c6d0f2006-04-28T10:07:00+00:002013-07-13T22:09:33+00:00UroboreLa Patte de ChatcachéChristia SylfLa Patte de Chatlectureocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme <img src="http://miroir.urobore.net/images/general/patte2chat.jpg" alt="La Patte de Chat" /> <div class="podcast_player"> <object type="application/x-shockwave-flash" data="http://miroir.urobore.net/share/podcast/dewplayer.swf?son=http://urobore.free.fr/podcast/share/audio/pat2chat-02.mp3 " height="20" width="200"> <param name="movie" value="http://miroir.urobore.net/share/podcast/dewplayer.swf?son=http://urobore.free.fr/podcast/share/audio/pat2chat-02.mp3" /> </object> </div> <p><strong>Fichier audio</strong> <a href="http://urobore.free.fr/podcast/share/audio/pat2chat-02.mp3" rel="enclosure">Cliquez ici</a></p>
<ul> <li><strong>Auteur</strong> Christia Sylf</li>
<li><strong>Lu par</strong> Urobore</li>
</ul>
La Chatte-Mie, en spectatrice de loge, appréciait mon théâtre. De toute évidence, elle connaissait la présente pièce par c?ur et y accordait surtout un intérêt de contrôle, dans le perfide dessein de me surprendre à déranger l?ordre coutumier de mes tirades ou rompre l?enchaînement, bien réglé, de mes jeux de scène.
<br />
<br />Je respectai donc le crescendo de mon monologue jusqu?à l?apothéose de mes gesticulations qui m?abattirent, en point d?orgue prolongé, sur les ressorts grinçants du plus vieux, du plus creux de mes fauteuils, celui-là même nommé « fauteuil des lassitudes ».
<br />
<br />Je ne bougeai plus. Tout était dit. Tout était joué. C?était fini.
<br />
<br />- Enfin ! dit la Chatte-Mie. Ce n?est pas trop tôt. Vous me surprendrez toujours par l?étalage de vos tergiversations. Vous y perdez vraiment un temps précieux. N?aviez-vous point compris, tout comme moi, que c?était jour d?histoire à conter ? L?odeur du temps, la teinte pâlie du ciel, l?intention manifestée par les coussins de nos fauteuils, ne vous parlaient-elles point de cette évidence ? Allons, cessez de vous ébrouer de la sorte, je vais vous dire de ce que je tiens d?un mien cousin, noble chat de la très ancienne lignée du chemin de ronde, au village de Saint-Levant. Mais vous voudrez bien me permettre un certain tour de style ; ce récit est si parfait que je n?en veux rien changer en y introduisant, peu ou prou, de ma personnalité. Je m?effacerai donc au profit du mien cousin et vous voudrez bien considérer que c?est lui qui parle, en mes lieu et place, mieux que je ne saurais le faire.
<br />
<br />J?acquiesçai et assistai sur-le-champ à une sorte d?évocation.
<br />
<br />Chatte-Mie, après une pause, parut changer de physionomie et là, sous mes yeux, vieillissant et se tassant, le poil sec, le museau soudain tout ensauvagé, devint l?homologue de son parent. Je ne jurerais pas qu?elle n?ait point murmuré une petite prière à Grand-Chat pour être aidée car il me sembla saisir, au travers de son souffle, les mots de l?Invocation Majeure, le Credo des Chats qui dit : « <em>En Toi, Grand-Chat, nous procédons tous les uns des autres.</em> »
<br />
<br />Bref, Chatte-Mie opéra une magistrale mutation. Même sa voix, quand elle entama le récit, avec des accents rauques et des feulements de gorge, fut celle d?un vieux matou, solitaire et philosophe.
<br />
<br />- A Saint-Levant, nous autres de la Pérenne Confrérie, qui portons dévotion et rendons tous nos comptes à Grand-Chat, nous considérons comme fief d?élection le territoire du chemin de ronde. Obligation nous est faite à tous, que nous habitions loin ou près, d?y passer au moins une fois chaque jour, afin d?assurer la continuité de notre chaîne magique. L?un d?entre nous, désigné par Grand-Chat, lors des cérémonies de probation, est nommé à vie Maître-Veilleur de ce lieu. Cela veut dire qu?il s?engage à y maintenir, avec rigueur, une surveillance dont il doit rendre compte régulièrement à Grand-Chat.
<br />
<br />J?étais donc depuis ma jeunesse ce Maître-Veilleur.
<br />
<br />Oui, ma charge me donnait beaucoup de soucis. Elle me privait tout à fait du libre bonheur qui est nôtre. Mais, j'en respectais hautement les astreintes, heureux de plier mon tempérament aventureux aux rigueurs de cette mystique.
<br />
<br />Mon goût inné de la solitude, mon sens de l?observation furent de précieux adjuvants. Grand-Chat ne s?était point trompé dans son choix. Tôt dans l?âge, j?en vins à aimer mon ascèse. Je méprisai la vie facile. Ce fut heureux car, comme je l?ai dit, un Maître-Veilleur ne peut s?abandonner aux douceurs tribales. Il vit seul. Il dort seul. Les sommeils de groupe, qui tant sont doux, museaux et pattes fraternellement confondus, ne sont pas pour lui. Pas plus que les changements brusques de résidence, si chers à nos sens lorsque la lune pleine nous appelle ailleurs ! Encore moins les folles passions qui nous font musiquer à tort et à travers, des saisons durant, devant les dames. Non, non, tout cela n?était point mon lot. Je veillais. Je demeurais. Je maintenais. J?assurais la continuité des prérogatives fluidiques du clan. J?étais le rapporteur de tous par-devant la justice de Grand-Chat. Et, sur spécial décret de Celui-ci, béni soit-Il, j?étais le secret Témoin des Actes des Hommes.
<br />
<br />Il y faut de la nuance, de la perspicacité, de l?expérience et, de plus, une sorte de don spécial pour les deviner. Car les actes des hommes ne reflètent pas forcément leurs intentions. Plutôt pas ! Celles-ci sont le plus souvent cachées et, parfois même, comme ignorées, tant il appert que les humains ont une étrange répugnance à descendre voir dans leurs profondeurs ce qui s?y passe?
<br />
<br />Il me faut vous dire, pour la clarté de mon récit, que ce chemin de ronde à Saint-Levant forme, dans l?Arcane Majeur de notre science cachée, une frontière entre l?évolution-chat et l?évolution-homme. A cet endroit, la barrière est mince. Il y a possibilité d?interpénétration d?un camp dans l?autre. Des échanges se font, profitables aux deux parties. Les hommes, par exemple, tirent de notre contact une meilleure connaissance de la circulation des fluides ; nous leur rendons souvent le service d?assainir leurs ambiances psychiques ; ça leur donne le teint frais et nous fait le poil lisse !
<br />
<br />Mais de plus étranges mutations se produisent.
<br />
<br />Tous ceux des nôtres qui naissent là sont, vous le concevez aisément, d?une caste choisie. Ils possèdent, par hérédité, quelque chose de plus que la majeure partie d?entre nous. Ils ont, très exactement, l?apanage d?une dotation particulière. C?est la « part supplémentaire ». C?est le germe, propre à certaines âmes, qui leur permettra de croître au delà des limites coutumières, sous l?action du rayonnement humain, soleil de notre vocation !
<br />
<br />Ainsi, une radicelle glorieuse poussera, en dévorant, comme un terreau de base, notre petite âme animale. Jusqu?à ce que cette plante rarissime devienne elle-même l?embryon, plus rarissime encore, d?une future âme humaine.
<br />
<br />En ce cas, l?élu sera libéré des recommencements animaux, au profit de son entrée dans le maillon humain.
<br />
<br />C?est là, je le concède, une alchimie peu connue. Peu de réussites car peu de tentatives. Nous restons libres de développer ou non cette capacité. En fait, la plupart d?entre nous la laissent en friche car c?est un don redoutable et générateur d?épreuves.
<br />
<br />Vous voyez qu?en un tel lieu, mon emploi de Maître-Veilleur n?était pas une sinécure !
<br /><br />
<em>(à suivre !)</em><br />
<br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/60-la-patte-de-chat-christia-sylf-02-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/55La Patte de Chat - Christia Sylf - 01/17urn:md5:f22dd14ecab28aee9d85da39ef0b2a402006-04-26T10:06:00+00:002013-07-13T22:05:28+00:00UroboreLa Patte de ChatcachéChristia SylfLa Patte de Chatocculteoccultismepodcastromanspiritualitéésotériqueésotérisme <img title="patte_de_chat_christia_sylf.jpg, août 2012" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="patte_de_chat_christia_sylf.jpg" src="http://miroir.urobore.net/dotclear/public/general/patte_de_chat_christia_sylf.jpg" /><br />L'instant d'avant, je rêvassais, indécis, quant au sort de cette journée... Les fumerolles de mes pensées se dissipèrent : la Chatte-Mie entrait dans la pièce.
<br />
<br />C'est, en soi, toujours une sorte d'événement ! Elle s'insère dans votre ambiance, avec délicatesse certes, mais aussi avec une fermeté royale, levant haut le nez, la queue en étendard d'impertinence, et toute sa personne auréolée d'un magnétisme prompt à dissiper vos fantasmes ou, le cas échéant, à y ajouter quelques-uns des siens.
<br />
<br />Je cessai de tambouriner la vitre. Chatte-Mie, sensible à cette marque d'intérêt, m'adressa un de ces roucoulements en volute qui correspondent assez bien à notre interrogatif : « <em>Alors ?</em> »
<br />
<br />A quoi je répondis par le grognement soupiré, facile à transcrire par : « <em>Beuh !...</em> »
<br />
<br />J'aurais pu me montrer plus explicite. Chatte-Mie le souligna aussitôt en détachant son regard de ma personne, comme si j'étais quelque objet inconvenant. Puis, de façon ostentatoire, irritée et délibérément irritante, le bout de la queue pulsatile, l'allure lente et méthodique, elle afficha ne plus s'occuper que de ses petites affaires.
<br />
<br />Soigneusement indifférente, quoique parfaitement attentive aux moindres variations de mes effluves, elle s'installa, après moult cérémonies, dans celui des fauteuils que son personnel décret avait voué à l'exercice du sommeil.
<br />
<br />Pourtant, elle ne parut point devoir dormir de sitôt.
<br />
<br />Chatte-Mie flaira le coussin, vérifiant par là même que rien d'étranger ne s'était aventuré sur son bien. La triple circumduction accomplie, elle se laissa choir comme plume.
<br />
<br />Il lui fallut du temps pour disposer par-devant son corps le petit rempart psychique de sa queue. Le col droit, elle écouta courir sur son échine une risée de frissons. Valaient-ils vraiment la peine qu'on y portât la griffe de grattage ?
<br />
<br />Elle délibérait gravement, retirée au plus profond d'elle-même. Les frissons eurent ainsi tout le loisir de s'éteindre.
<br />
<br />Alors, en coup droit, elle aborda le problème ayant motivé sa venue, en me décochant le plus péremptoire des regards, du genre de : « <em>Toi, mon garçon, si je n'étais pas là...</em> »
<br />
<br />Bref, mon cas était jugé d'avance ! Je ponctuai son oeillade d'un léger tambourin de mes doigts sur la vitre. Et, voyant sur son masque fleurir son sourire d'Egypte, j'attendis la suite, sans plus rien faire, sûr d'être atteint au bon endroit.
<br />
<br />Dans le moment où je crus qu'elle se ravisait, le menu caillou de sa remarque frappa le centre de mon marécage.
<br />
<br />- <em>Vous êtes maussade</em>, dit-elle.
<br />
<br />Sa manière négligente souligne toujours efficacement l'importance de ses constatation ; je me sentis donc en état de péché, laid et ord en diable !
<br />
<br />Deux autres petits cailloux rejoignirent le premier, coup sur coup, aggravant mon état :
<br />
<br />- <em>Vous êtes nerveux?</em>
<br />
<br />Les points de suspension lui servirent à bâiller : il s'agissait de bien démontrer qu'elle abandonnait le sommeil, si nécessaire à sa santé, pour me venir en aide.
<br />
<br />- <em>Et vous êtes mou</em>, acheva-t-elle, dégoûtée mais toute bonne dans sa mansuétude.
<br />
<br />Je jugeai que c'était de la provocation et j'explosai donc... pour son plus grand plaisir, il faut bien l'avouer.
<br />
<br />- <em>Certes, certes, Chatte-Mie, je suis maussade et nerveux et mou ! Un bel objet de répugnance, apte à froisser votre esthétisme... </em><br />
<br />Elle flûta :
<br />
<br />- <em>Ce n'est pas tant cela, mais c'est que vous tournez, comme toton, à me donner le vertige.</em>
<br />
<br />Je me plantai devant elle, rugissant :
<br />
<br />- <em>Eh ! oui, je tourne, je vire, je volte, je roule et je déroule. Et tenez même, j'arpente et je piétine. C'est un de ces jours de crasse-pluie, où rien ne part, où rien n'arrive. Tout flotte, rien n'aborde. Ni le travail ni le sommeil ne m'attirent.</em>
<br />
<br />Elle eut une expression vraiment choisie :
<br />
<br />- <em>Je vous trouve comparable à ces linges mouillés qui s'égouttent sans sécher dans les buées d'automne.</em>
<br />
<br />Je restai bouche bée : elle frissonnait, tout à fait horrifiée :
<br />
<br />- <em>Oh ! pauvre cher, des gouttes, du mouillé, des buées ! Triste, pitoyable état ! Si je ne vous savais pas assez masochiste, je craindrais pour votre vie. Mais, ô Grand-Chat, merci, votre complaisance à souffrir vous protège des vrais dégâts !</em>
<br />
<br />Je m'agenouillai et lui pris la patte, toute honte bue, afin d'implorer son entremise. C'est un jeu que nous jouons très bien tous deux. Quand elle m'estime assez recru, désemparé, abandonné du monde entier - et là, j'appuie sur la chanterelle, n'hésitant pas à verser quelques gros bouillons de larmes - elle intervient, magnanime et répand ses secours sur ma nuque ployée.
<br />
<br />- <em>Chatte-Mie</em>, dis-je, sur le mode sérieux, <em>vous le savez : je n'ai que vous. Or donc, je ne puis soutenir plus avant ma misère de ce jour. Donnez-moi la solution. Faut-il sortir, se promener, lire, découper des catalogues avec les ciseaux ronds de mon enfance, dois-je me ronger les ongles mordre une pomme, finir les boules de gomme, changer de chaussons, écouter Mozart ou m'en aller prier le Seigneur au plus haut des célestes passerelles de Bach ?</em>
<br />
<br />J'estimai utile de m'arrêter. Chatte-Mie, pour qui le temps n'existe guère, eût toléré la poursuite de mes litanies, tout le jour durant si besoin était. Déjà, son ronronnement me servait de basse continue.
<br />
<br />Il y eut donc un silence, son rouet mit une sourdine, tandis qu'elle concentrait toute son attention sur sa patte dans ma main.
<br />
<br />-<em> Pfeuh que tout cela !</em> souffla-t-elle à travers moustache.
<br />
<br />C'en était trop. Je lâchai sa patte. Ce qui ne lui fit rien. Ma déambulation furibonde me mena de la porte, par où je ne sortis point, à la fenêtre, qui resta close. Je grommelais, pestais et soupirais, sans rompre moindrement le cercle d'empêchement qui me tenait là.
<br /><br />
(<em>A suivre !</em>)<br />
<br />http://miroir.urobore.net/index.php/post/2010/08/13/59-la-patte-de-chat-christia-sylf-01-17#comment-formhttp://miroir.urobore.net/index.php/feed/atom/comments/54