Krishnamurti

L'affaire Krishnamurti a fait grand bruit à son époque. Elle a servi d'alibi pour un certain nombre de détracteurs pour attaquer et discréditer la Société Théosophique. Pourtant, qu'en est-il réellement ? Quels sont les tenants et aboutissants de cette affaire si particulière ?

J'ai beaucoup hésité à mettre en place une page sur cette question sur mon site web. Il n'est pas toujours bon, en effet, de remuer les fonds des marais pour faire remonter à la surface de l'eau vaseuse, quelque composante peu ragoûtante. D'abord parce qu'il est parfois bon d'enterrer les "cadavres" pour que le flux du temps les efface. Ensuite, parce que ce genre d'événement n'a pas forcémment beaucoup d'intérêt d'un point de vue "spiritualiste". Enfin, parce qu'il n'est pas aisé de revenir sur un événement (ou un "affaire"), plusieurs dizaines d'années plus tard, sans connaître ni la totalité des détails, ni l'ensemble des motivations présentes.

Néanmoins, j'ai décidé de mettre en ligne ce sujet pour trois raisons :
  • la première, parce que le recul temporel permet de comprendre, néanmoins, un contexte dans un sens plus global que ce qui apparaîssait sur le moment ;
  • la seconde, parce que beaucoup de choses ont été dites, dogmatiques d'un côté comme de l'autre, sous le feu de la passion, de la désinformation ou du mauvais aloi ;
  • la troisième, parce que l'affaire Krishnamurti regorge des détails qui touchent directement à la question de l'occulte et qui ont très souvent été écartés.

Dans cette affaire, et étant donné que je me considère comme objectif vis-à-vis de la Société Théosophique ou de Krishnamurti (n'étant ni un disciple de la Société Théosophique, ni de Krishnamurti, ni d'une école quelle qu'elle soit, et ayant, qui plus est, étudié les enseignements des deux "partis"), il me semble profitable de revenir rapidement sur cette question.et lever certaines ambiguitës.

Rappel historique


Jiddu Krishnamurti naquit en Inde en 1895. Huitième enfant d'une famille brahmine de dix enfants, il est nommé ainsi en souvenir de Krishna, huitème avatar de Vishnou dans la religion hindouiste. Sa mère mourra lorsqu'il eut atteint 10 ans. Son père, après la mort de sa femme et son entrée en retraite, demande à Annie Besant, qui dirige la Société Théosophique dont il est membre, de l'aider à nourrir sa famille. Le père, Krishnamurti et les autres enfants s'installent donc ainsi à Adyar (en Inde), lieu où la Société Théosophique lui offre un poste d'assistant au secrétariat. Un beau jour, encore enfant, Charles W. Leadbeater, clairvoyant et haut dignitaire de la Société Théosophique, voit en le jeune Krishnamurti une aura rayonnante et une absence totale d'égoïsme. Convaincu de voir en lui le futur "Instructeur du Monde", la Société Théosophique met en place un ordre spécifique (L'Ordre de l'Etoile d'Orient) afin de préparer l'enfant à l'enseignement spirituel et lui permettre d'être adombré par le Christ / Maitreya. Dans le cadre de cet ordre, l'enfant connaît une forte acculturation de culture britannique et devient véritablement entouré par des disciples théosophes de plus en plus nombreux. Recevant des enseignements par le biais du Maître Khout Houmi, et si l'enfant révèle une acuité extraordinaire pour la perception de la connaissance de l'être, un incident se produit. En effet, Krishnamurti répudie avec fermeté cette image messianique, et prononce en grand fracas, en 1929, la dissolution de l'organisation qui s'était constituée autour de lui. Il déclara alors que la vérité était "un pays sans chemin", dont l'accès ne passait par aucune religion, aucune philosophie ni aucune secte établies. Par la suite, le rayonnement de Krishnamurti fut mondial et sa philosophie, une sorte de nihilisme fondé sur la non-dualité, connaîtra un développement incroyable jusque dans les années 1980. Krishnamurti meurt en 1985.

La question se pose : que s'est-il passé ? Est-ce que Charles W. Leadbeater s'est trompé dans la perception de l'aura de Krishnamurti ? A-t-il été victime d'une illusion mentale ? Est-ce que Krishnamurti n'était qu'un disciple parmi d'autres avec une acuité intellectuelle notable ? Ou bien est-ce Krishnamurti qui a fait le choix de refuser la mission qui lui avait été confiée ? Ou bien est-ce Krishnamurti qui a chûté après avoir passé une initiation ? Toutes sortes d'interprétations ont été faites de ces événéments. Des plus ésotériques aux plus scabreuses, dignes des tabloïds britanniques d'aujourd'hu... De cette situation, la Société Théosophique connut une véritable claque : scissions, désaffection de nombreux disciples, "purge interne" des membres pour tenter de sauver les meubles, attaques vis-à-vis de Charles W. Leadbeater... Bref, le cataclysme dans la sphère théosophique est à la mesure de l'incompréhension totale...

Analyse personnelle de la question


Il ne m'intéresse absolumment pas de réveiller la polémique, de la raviver ou d'y participer. Il me semble néanmoins intéressant d'apporter ma vision des choses sur cette question, et cela autour de trois axes de réflexion : d'abord, les enjeux mondiaux de l'époque pour l'Humanité, puis la responsabilité de la Société Théosophique dans cette affaire, et, enfin, la responsabilité de Krishnamurti dans ce choix.

Contexte et enjeux mondiaux pour l'Humanité

  • la période correspondante (1929) correspond à une période de fin de Cycle. Symbolisée, si j'ose dire, économiquement, par la fameuse crise internationale majeure (la première grande crise mondialisée du capitalisme moderne), un événement majeur devait y correspondre sur le plan spirituel : un échec, une cassure, une destruction de "l'ancien monde" ;
  • l'Humanité était dans la période préparatoire aux terribles événements de l'âge obscure qui allait naître quelques années plus tard : l'avènement des idéologies totalitaires et la négation totale de l'Humanité dans ses retranchements les plus sombres ;
  • des deux logiques événementielles précédentes, on peut tout à fait comprendre que, d'un point de vue global, l'incarnation (ou l'adombrement) d'un avatar n'était karmiquement pas faisable, et avec le recul, pas souhaitable ;
  • la nécessité d'un enseignement ésotérique fort (une deuxième pierre) était néanmoins fortement souhaitable pour préparer l'avenir (et ceci avait commencé à être réalisé par le biais d'Alice Ann Bailey dès le début des années 1920) ;
  • la destruction de l'ancien monde était ce qui devait être réalisée ;
  • la focalisation sur la question de l'autonomie individuelle à développer (et la défense de la liberté absolue de l'individu), qui sont la base de la philosophie de Krishnamurti bien que n'allant pas jusqu'au bout du raisonnement (cf. Advaita), était une graîne nécessaire pour former une contrepartie à l'idéologie totalitaire qui était entrain de naître en Europe occidentale.

Quelle responsabilité de la Société Théosophique ?

  • Charles W. Leadbeater nous apparaît comme étant indépendant de l'affaire en tant que tel, sa sincérité ne nous semblant pas devoir être mise à mal : la captation de la capacité spirituelle de Krishnamurti a été effective et de fait prouvée par le rayonnement mondial et l'acuité intellectuelle de Krishnamurti pendant le 20ème siècle qui a suivi ;
  • la mise en place d'un Ordre fermé autour de l'enfant n'a sans doute pas été de bon aloi, psychologiquement parlant, encourageant l'enfant Krishnamurti, par les nombreuses règles présentes, à désirer une liberté d'individu pour se libérer du joug procédural qui était mis en place ;
  • la dévotion (ou bigoterie) de nombreux disciples théosophes de l'époque envers Krishnamurti n'a sans doute pas aider au niveau de la construction émotionnelle de l'enfant : le but de l'éducation de l'Ordre de l'Etoile d'Orient était de faire de Krishnamurti un être médiumniquement réceptif à l'adombrement du Christ / Maitreya ; dès lors, la présence dévotionnelle (bigote) de nombreux théosophes a sans doute dû perturber sa construction personnelle (à l'inverse de celle de "son âme") ;
  • la Société Théosophique de l'époque devenait "sectaire" dans la pensée de certaines de ses unités nationales et locales (sectaire au sens de "fermée aux évolutions idéologiques") ; la preuve en est fait les nombreuses scissions qui ont précédé l'affaire Krishnamurti (création de l'Anthroposophie, de la Loge Unie des Théosophes, du Lucis Trust d'Alice Ann Bailey, etc.) ;
  • l'affaire Krishnamurti nous apparaît comme un "juste retour karmique" envers la Société Théosophique en tant que structure (il ne s'agit en effet pas de jeter l'oprobre sur Mme Annie Besant ou Mgr Charles W. Leadbeater), structure qui devenait du "n'importe quoi" de par de nombreux "disciples" (ou nommés comme tels ?) non sincères dans leur approche spirituelle, ainsi que par un agencement institutionnel fermé, statique, cristalisé (évolution logique de toutes les institutions humaines qui finissent par se renfermer sur elles-mêmes).

Quelle responsabilité de Jiddu Krishnamurti ?

  • Krisnamurti a connu des premières approches d'adombrement du Christ / Maitreya qui ont été effectives mais n'a pas souhaité aller au-delà ;
  • les motifs du refus de Krishnamurti n'étaient pas absolumment purs, quoiqu'en partie sans doute inconscients : psychologiquement, désir de se libérer de la contingence mise en place par l'Ordre de l'Etoile d'Orient ; sociologiquement, la volonté de se libérer du poids de la "mission" qu'on attendait de lui ; spirituellement, refus de l'Initiation du grand renoncement et de l'adombrement (qui était théoriquement et potentiellement réalisable) par le Christ / Maitreya ;
  • Krishnamurti a sans doute refusé cet adombrement spirituel de par la peur (humainement légitime) que sous-entendait l'accueil du Christ en soi ;
  • ayant passé l'initiation d'Arhat (nécessaire à l'adombrement christique), Krishnamurti s'est retrouvé "seul" (c'est une des conditions de cette initiation) dans sa faculté d'exercer des choix : il a fait le choix de raisonner selon l'enseignement de l'Advaita, l'une des voies les plus complexes de la philosophie hindoue, qui lui avait permis de s'émanciper dans sa vie antérieure ;
  • la conjonction des poids psychologique et sociologique, d'une part, mais surtout la faculté du choix "dans la solitude" (de l'Arhat) couplé à l'angoisse de l'adombrement christique, ont conduit Krishnamurti à refuser la voie du Service qui lui était proposée ;
  • Krishnamurti n'était sans doute pas entièrement conscient, de par sans doute une humilité spirituelle réelle mais pas parfaitement assimilée, à l'image d'un "Parsifal", que son enseignement dispensé aux individus/disciples, n'était pas attitré pour l'émancipation spirituelle de l'Humanité.

Pour appuyer ces composantes (qui s'interpénètrent et qui doivent être relativisée dans leur juste mesure), merci de consulter deux extraits d'un ouvrage dont je tairai la référence, et que j'ai reproduits dans les deux points suivants ("Le problème que pose la pensée de Krishnamurti" et "Quelle implication ésotérique des choix de Krishnamurti").