"Dire la vérité, rien que la vérité". "Il n'y a que la vérité qui blesse". "La vérité est ailleurs". "A chacun sa vérité."

Vérité un mot qu'on utilise au quotidien sans nécessairement avoir réfléchi à ce qu'il représente, et cela aussi bien d'un point de vue mondain que spirituel. Comme bien d'autres mots, on l'utilise et le prononce dans le sommeil de la langue. S'il est aussi présent dans le langage et dans le quotidien, c'est qu'il doit avoir son importance. Et cela est d'autant plus vrai (c'est le cas de le dire) en matière de spiritualité. Jésus ne disait-il pas : "Je suis le chemin, la vérité et la vie" (Jean 14:6). Et en Orient, le concept d'êtreté englobe aussi la vérité : Sat, qui signifie par ailleurs "ce qui est bon et vertueux".

Il me semble important de se poser la question : comment appréhender la Vérité sur le sentier spirituel aujourd'hui et quels sont ses enjeux dans l'état actuel du monde, c'est-à-dire de la conscience actuelle de l'Humanité ?

Comment définir la Vérité ?

Avant toute chose, il est nécessaire de s'intéresser à sa définition. Si on regarde le wiktionnaire, on lit que la vérité est définie comme le "caractère de ce qui est vrai, de la conformité d'un récit, d'une relation avec un fait, de ce que l'on dit avec ce que l'on pense". Cette définition polymorphe donne des pistes multiples de l'usage de ce mot, ce qui alimente l'intuition que définir la "vérité" ne sera pas chose si facile. Est-ce ce qui est "vrai" (mais alors, qu'est-ce qui est "vrai" et qu'est-ce qu'être "vrai" ?) ? Ou bien est-ce ce qui est conforme (mais alors, est-ce que le vrai se limite à la forme des choses et peu importe leur essence ?) ?

Le mot "vérité" est un terme qui vient du latin veritet, lui-même dérivé de véritas, verus, c'est-à-dire le "vrai". Et si on regarde la définition du "vrai" dans le même wiktionnaire, on retombe sur la vérité, car "ce qui est vrai est ce qui est conforme à la vérité". Nous revoilà au point de départ. Ce n'est pas tout à fait étonnant : probablement que ce concept de "vérité" fait partie de ces concepts premiers (comme le sont aussi "bien", "l'unité" ou "l'être") qui servent à définir d'autres mots subsidiaires et secondaires. Le concevoir comme un concept premier ne facilite pas pour autant la tâche de la définition puisque celui qui s'intéresse à l'histoire de la philosophie, des religions, des sciences et donc à l'Histoire de l'Humanité, sait bien que ces concepts ont suscité bien des réflexions, méditations et évolutions dans leurs définitions respectives.

Le vrai est ce qui est conforme

Sans chercher à se substituer aux philosophes, essayons simplement de tirer le fil de la pelote de laine. Regardons de plus près la définition du wiktionnaire de l'adjectif "vrai", avec cette notion de conformité. Du latin conformis, ce qui est conforme est "qui a la même forme", par extension : ce qui est semblable. Mais aussi ce qui est convenable, qui s'accorde (c'est-à-dire ce qui convient). Ce qui s'accorde, au sens relationnel comme musical, c'est ce qui crée une harmonie (donc ce qui entre en résonnance et qui donne naissance à une synthèse qui dépasse les deux éléments qui se rencontrent).

Ce qui est vrai semble donc être une caractéristique, c'est-à-dire une composante d'une chose, qui ressemble à la vérité, qui est en harmonie avec elle, qui convient à ce qu'on entend par vérité. Autrement dit, ce qui est vrai respecte quelque chose que l'on a définit comme un standard, une norme. La vérité serait donc quelque chose sur laquelle "on" s'est entendu pour la définir comme telle. Elle semble nécessiter qu'on s'entende et qu'on s'accorde pour l'établir, afin qu'elle prenne sa position de point de référence.

En l'état du dictionnaire, ces définitions ne définissent pas précisément ce qu'est la vérité mais introduisent l'idée qu'il s'agirait de quelque chose de relatif :

  • la vérité est un point de référence défini "à un moment donné" par une entité consciente (un individu ou un groupe d'individus).
  • et ce point de référence serait utile pour définir si une chose est vraie ou pas, c'est-à-dire semblable / en harmonie / en juste relation avec cette référence.

Quand on regarde d'autres dictionnaires, comme le Littré, on voit aussi que ce qui est vrai est quelque chose de "réel". Ce qui serait vrai serait réel et donc ce qui serait faux serait irréel. Mais définir ce qui est réel nous enjoint à boucler aussi la boucle car il revient à définir ce qu'est la "Réalité", qui est un sujet philosophique (et spirituel) à part entière, semblable en fait à toute réflexion sur ce qu'est la Vérité.

La vérité est un point de référence

Ne nous égarons pas et reprenons cette idée simple que la Vérité est un point de référence, un repère. Cette définition ne signifie pas qu'il n'existe pas de Vérité au sens absolu mais que l'appréhension de ce qui est vrai nécessite un point de comparaison ("la vérité"), qui va permettre de croiser, de trier, et donc d'identifier ce qui est conforme à ce point de référence et ce qui ne l'est pas.

Quel est ce point de référence qui permet d'établir la vérité d'une chose (d'un récit, d'une histoire, d'une parole, par exemple) ?

Est vrai ce qui est considéré comme vrai. C'est presque une lapalissade malicieuse. Mais ce qui se cache derrière cette formule est que, tout dépendra, comme toujours sur le sentier spirituel, de là où parlera le locuteur qui énonce. L'adage "A chacun sa vérité" illustre cet aspect de la vérité. En effet, si on comprend la spiritualité comme le cheminement de la conscience, qui s'élargit de plus en plus, au fil de ses expériences, pour englober de plus en plus la réalité des choses, on comprend que, certes, la vérité est ce qu'on a défini comme "vrai" mais qu'elle est aussi (et peut-être surtout) relative à celui qui perçoit les choses, c'est-à-dire à sa conscience des choses.

La vérité serait donc relative car elle dépendrait de l'état d'une unité de conscience donnée, que cela soit un individu ou un groupe. L'état de conscience de l'unité qui est dans le monde (un individu ou un groupe) va définir ce qui est vrai, c'est-à-dire ce qui est sa vérité.

La vérité est relative et évolutive

L'état de notre réflexion un peu maladroite nous fait tourner autour du pot : est vrai ce qui est défini comme vrai (pour un individu comme pour un groupe). Si on se contente de cette définition, ce que beaucoup de gens font, alors la vérité ne serait qu'une convention, le fruit d'une entente, suite à une concertation.

Je dis cela aussi bien du point de vue d'un groupe que d'un individu : un individu entre en concertation avec lui-même. En effet, la réflexion ou la méditation qu'un individu mène est une sorte de concertation avec lui-même (que ce "lui-même" soit sa personnalité ou son âme, d'ailleurs). L'individu trouve alors "sa" vérité, ce qui lui semble être le point de référence utile à un moment donné de son existence, comme un indépassable... jusqu'à ce qu'il le remette en question pour définir un nouveau point de référence, en fonction de ses expériences.

Le Tibétain nous le rappelle dans le Traité sur le Feu Cosmique :

"Pour l'étudiant à l'esprit ouvert, et pour la personne qui se souvient, que la vérité est révélée progressivement, il apparaîtra, que l'expression la plus complète possible de la vérité, à un moment donné, sera considérée plus tard comme un fragment d'un tout, et plus tard encore, comme une simple partie d'un fait, donc comme une distorsion du réel."

(Alice Bailey, Traité sur le Feu Cosmique, p.XIV)

La vérité est un absolu : Je suis le chemin, la vérité et la vie

Cette définition très psychologique de la vérité nous conduit-elle à nier l'existence d'une vérité absolue ? Pas nécessairement. A partir du moment où est intégré le postulat fondamental de l'unité du monde, qui est un fait spirituel indémontrable mais que partagent beaucoup d'ésotéristes et spiritualistes, l'idée que la vérité serait relative à l'état d'évolution des unités de conscience n'est pas contradictoire avec le fait qu'il existe une vérité qui soit absolue, relative à la plus grande entité de conscience qui soit, à savoir le monde, l'univers dans sa totalité, elle-même fusionnée avec l'être absolu. Les vérités relatives seraient donc autant d'aspects de cette vérité unique, qui serait le point de référence de l'univers.

La vérité serait donc plus qu'un point de référence et donc un ensemble de points de référence, traçant une voie vers une vérité plus grande, toujours plus inclusive des vérités atomiques agrégées les unes avec les autres tout en les dépassant. Une définition de la vérité donc qui fait écho à ce qu'affirmait Jésus : "Je suis le chemin, la vérité et la vie". La vérité est un chemin qui est l'inclusion de la vie.

Les deux registres de la vérité

Ce simple exercice de définition de la vérité permet de retrouver naturellement une des conceptions orientales de la vérité, qui distingue en effet deux niveaux de la vérité : celle qui est relative, empirique et qui vient de l'expérience des unités de conscience, et celle qui est absolue, à savoir Brahman, l'être-té suprême.

Qui s'intéresse à définir la Vérité s'intéresse donc à cette relation entre l'Un absolu et le Multiple dans sa diversité. Cette distinction est d'ailleurs au coeur d'une des idées fondamentales du bouddhisme, dont les courants mettent plus ou moins l'accent sur cette notion double de la vérité en s'intéressant plus ou moins au caractère inaccessible de la vérité absolue (ce qui n'est pas le cas du bouddhisme ésotérique qui assume ce point d'une vérité à l'autre, suivant la formule de Jésus évoquée plus haut).

On pourra souligner qu'il y a probablement une différence de modalité entre l'Occident et l'Orient dans le rapport à cette vérité (on pourrait dire que l'Occident cherche à "connaître" la vérité - comme dans l'expression qui était gravée sur le fronton du Temple d'Apollon à Delphes "Connais toi toi-même" - alors que 'l'Orient veut "réaliser" la Vérité car qui connaît Brahman le devient. Si la philosophie ésotérique moderne et la théosophie synthétisent ces deux démarches comme une seule, on pourra relever que l'instrument et la méthode initiatique utilisés de préférence par les hommes de culture orientale indienne (= les premières sous-races de la cinquième race-racine) est le corps bouddhique et l'intuition, alors que l'instrument et la méthode initiatique utilisés de préférence par les hommes de culture occidentale latine et anglosaxone (= les dernières sous-races de la cinquième race-racine) sont plutôt le corps mental et l'intellect. A l'époque actuelle, avec la mondialisation culturelle et la fusion progressive (bien que tumultueuse) des identités collectives pour l'Humanité globale alignée avec la conscience planétaire, cela n'a plus grande importance. La notion d'inclusion (qui, il faudra le noter, est un concept contemporain qui se fait de plus en plus jour dans la société exotérique actuelle pour parler d'une démarche ouverte à l'attention des communautés d'identités sociales et culturelles) semble être une porte de sortie dans le langage : l'inclusion, c'est à la fois la connaissance et la réalisation. Le Tibétain parle aussi de l'identification, qui est un concept proche. Donc : la vérité est un chemin qui est l'inclusion de la vie.

La vérité, le non-oubli ou le dévoilement

Si on regarde comment d'autres traditions que les civilisations latines traduisent le mot (et donc le concept) de vérité, on peut identifier des pistes intéressantes pour l'appréhender.

En grec ancien, la vérité se dit "alétheia", dont la décomposition étymologique donne une clef : a-létheia, c'est le -a privatif, suivi de Léthée, l'oubli (d'où le nom du fleuve de l'oubli dans les Enfers). La vérité serait donc "le non-oubli". C'est-à-dire à la fois le "désoubli", donc le dévoilement hors de l'oubli (donc la réminiscence, le souvenir soudain) mais aussi ce qui s'inscrit (dans la conscience, dans la société, dans le temps), j'ose dire "ce qui reste" malgré la succession des expériences.

Ainsi, la vérité est à la fois le fruit de l'expérience (le résultat d'une expérience qui est recueilli et transporté par la conscience vers l'expérience suivante) mais aussi ce qui est permanent et qui ne fait pas partie des scories qui seront balayées par le fleuve de l'oubli au fil du temps.

Doit-on comprendre la vérité comme ce qui est important, ce qui permet de s'orienter ? La vérité sera ce phare qui permet de ne pas s'égarer (dans les eaux tumultueuses et opaques du Léthée) et de perdre pied dans l'oubli et l'illusion.

Il est intéressant aussi de s'intéresser à ce que propose le philosophe Heidegger pour le mot aletheia avec son idée de "dévoilement". Il décompose plutôt l'aletheia grecque comme une démarche qui consiste en ce que "retirer la couverture découvre la vérité". La vérité serait donc aussi "ce qui reste" une fois qu'on a retiré ce qui la recouvre ; elle comporterait en elle-même un double aspect d'occultation et de désoccultation, mises en avant par l'acte du dévoilement. L'occultiste dressera une oreille attentive car c'est ce que propose la science occulte (qui dévoile ce qu'elle découvre). Le lecteur du Pendule de Foucault d'Umberto Eco se souviendra aussi de cette métaphore du personnage de Diotallevi qui fustige le principe de l'initiation comme une quête successive de dévoilements de pelures d'oignon qui ne débouchent que sur du vide :

"Il n'y a qu'un secret vide. Un secret qui glisse. ... l'initiation c'est apprendre à ne s'arrêter jamais, on épluche l'univers comme un oignon, et un oignon est tout épluchure, figurons-nous un oignon infini, qui ait son centre partout et sa circonférence nulle part, ou fait en anneau de Moebius."

(Umberto Eco, Le pendule de Foucault)

La métaphore est belle et ironique, seulement, à l'inverse de Diotallevi, on ajoutera en ésotériste qu'une fois épluché l'oignon des vérités (et une fois versées les larmes sur les expériences de vies incarnées successives), peut-être qu'il reste le soi, c'est-à-dire l'Un, le Tout, et donc la vérité absolue.

La Vérité est une Parole

Allons plus loin dans la compréhension de que représente la Vérité. Le philosophe Heidegger qu'on a déjà évoqué concevait que la Vérité dans son sens d'aletheia grecque était à l'origine (dans la Grèce antique présocratique) plus qu'un simple concept (tel qu'il a été présenté ensuite par Platon puis par les penseurs successifs) : c'était une Parole magique/spirituelle qui avait un effet sur la réalité du monde parce qu'elle dévoilait ce qui était voilé. Cette Parole était prononcée par des hommes qui incarnaient une autorité légitime. Le théosophe étudiant d'Alice Bailey ou d'Elena Roerich pourra penser à la notion de Hiérarchie, c'est-à-dire la fraternité d'hommes qui ont gravi le sentier de l'Initiation et qui aident l'Humanité à suivre ce chemin, hommes qui sont aussi appelés des maîtres de sagesse.

Il est intéressant de constater qu'on retrouve cet aspect de la vérité créatrice sur le chemin du disciple qui étudie les Yogasutras de Patanjali (qui ont pour objectif le développement du principe du mental dans l'Homme pour créer un pont avec la réalité intérieure).

Dans le sutra 36, Patanjali énonce :

"Quand la vérité à l'égard de tous les êtres a atteint son point de perfection, l'efficacité de ses paroles et de ses actes devient manifeste.".

Dans son commentaire de ce sutra (Alice Bailey, La Lumière de l'Âme, p.172), le Tibétain précise :

"Cette question concernant la vérité est l'un des plus grands problèmes qu'ait à résoudre l'aspirant, et celui qui tente de ne rien dire qui ne soit strictement exact se trouvera en face de difficultés nettement définies. Au cours de l'évolution, la vérité est entièrement relative et se manifeste progressivement ; elle peut se définir comme étant la démonstration, sur le plan physique, d'autant de réalité divine qu'en permettent le stade évolutif atteint et le moyen mis en œuvre. La vérité implique en conséquence l'aptitude de celui qui perçoit, ou aspirant, à discerner correctement la mesure de divin que revêt une forme (tangible, objective ou verbale). Elle comporte donc la capacité de pénétrer le sujet et d'établir un contact avec ce que voile toute forme. Elle implique également de la part de l'aspirant, l'aptitude à construire une forme (tangible, objective ou verbale) qui transmettra la vérité telle qu'elle est. ".

Cette intuition d'Heidegger sur l'importance de la Parole pour définir la Vérité est aussi intéressante d'un point de vue occulte, car il y a dans l'homme, nous disent les enseignements ésotériques, un rapport entre le Vrai et le centre laryngé (= le chakra de la gorge) dans l'Homme. Dans Guérison ésotérique (p.446), le Tibétain précise :

"Le vrai, en tant qu'expression du divin, trouve son point focal dans le centre laryngé. Les raisons de l'insuccès dans la réaction de la personnalité et de son incapacité d'exprimer la vérité doivent être recherchées dans la relation du centre sacré avec le centre laryngé. En l'absence de cette relation, il se produit une friction. On ne peut réellement exprimer "le vrai" que si les forces du centre créateur inférieur au diaphragme ont été élevées jusqu'au centre créateur laryngé. Alors "la Parole", qui est essentiellement l'homme, "sera faite chair", et l'on verra enfin sur le plan physique une véritable expression de l'âme.".

Car, en effet (ibid., p.445) :

"... le vrai ou la vérité sont constitués par la plus grande fraction d'expression divine qu'un homme puisse mettre en œuvre au degré d'évolution où il est parvenu et à un stade quelconque de son histoire en incarnation. Cette expression de la vérité présuppose qu'à l'arrière-plan de ce que l'homme parvient à exprimer, il existe de grandes ressources qu'il est incapable de manifester. Son âme a constamment conscience de ces ressources."

On a considéré jusqu'à présent la vérité d'un point de vue plutôt individuel, bien que la notion de groupe ait été effleurée. L'ensemble des éléments avancés précédemment est valable de la même manière pour un groupe.

(à suivre)