patte_de_chat_christia_sylf.jpg
L'instant d'avant, je rêvassais, indécis, quant au sort de cette journée... Les fumerolles de mes pensées se dissipèrent : la Chatte-Mie entrait dans la pièce.

C'est, en soi, toujours une sorte d'événement ! Elle s'insère dans votre ambiance, avec délicatesse certes, mais aussi avec une fermeté royale, levant haut le nez, la queue en étendard d'impertinence, et toute sa personne auréolée d'un magnétisme prompt à dissiper vos fantasmes ou, le cas échéant, à y ajouter quelques-uns des siens.

Je cessai de tambouriner la vitre. Chatte-Mie, sensible à cette marque d'intérêt, m'adressa un de ces roucoulements en volute qui correspondent assez bien à notre interrogatif : « Alors ? »

A quoi je répondis par le grognement soupiré, facile à transcrire par : « Beuh !... »

J'aurais pu me montrer plus explicite. Chatte-Mie le souligna aussitôt en détachant son regard de ma personne, comme si j'étais quelque objet inconvenant. Puis, de façon ostentatoire, irritée et délibérément irritante, le bout de la queue pulsatile, l'allure lente et méthodique, elle afficha ne plus s'occuper que de ses petites affaires.

Soigneusement indifférente, quoique parfaitement attentive aux moindres variations de mes effluves, elle s'installa, après moult cérémonies, dans celui des fauteuils que son personnel décret avait voué à l'exercice du sommeil.

Pourtant, elle ne parut point devoir dormir de sitôt.

Chatte-Mie flaira le coussin, vérifiant par là même que rien d'étranger ne s'était aventuré sur son bien. La triple circumduction accomplie, elle se laissa choir comme plume.

Il lui fallut du temps pour disposer par-devant son corps le petit rempart psychique de sa queue. Le col droit, elle écouta courir sur son échine une risée de frissons. Valaient-ils vraiment la peine qu'on y portât la griffe de grattage ?

Elle délibérait gravement, retirée au plus profond d'elle-même. Les frissons eurent ainsi tout le loisir de s'éteindre.

Alors, en coup droit, elle aborda le problème ayant motivé sa venue, en me décochant le plus péremptoire des regards, du genre de : « Toi, mon garçon, si je n'étais pas là... »

Bref, mon cas était jugé d'avance ! Je ponctuai son oeillade d'un léger tambourin de mes doigts sur la vitre. Et, voyant sur son masque fleurir son sourire d'Egypte, j'attendis la suite, sans plus rien faire, sûr d'être atteint au bon endroit.

Dans le moment où je crus qu'elle se ravisait, le menu caillou de sa remarque frappa le centre de mon marécage.

- Vous êtes maussade, dit-elle.

Sa manière négligente souligne toujours efficacement l'importance de ses constatation ; je me sentis donc en état de péché, laid et ord en diable !

Deux autres petits cailloux rejoignirent le premier, coup sur coup, aggravant mon état :

- Vous êtes nerveux?

Les points de suspension lui servirent à bâiller : il s'agissait de bien démontrer qu'elle abandonnait le sommeil, si nécessaire à sa santé, pour me venir en aide.

- Et vous êtes mou, acheva-t-elle, dégoûtée mais toute bonne dans sa mansuétude.

Je jugeai que c'était de la provocation et j'explosai donc... pour son plus grand plaisir, il faut bien l'avouer.

- Certes, certes, Chatte-Mie, je suis maussade et nerveux et mou ! Un bel objet de répugnance, apte à froisser votre esthétisme...

Elle flûta :

- Ce n'est pas tant cela, mais c'est que vous tournez, comme toton, à me donner le vertige.

Je me plantai devant elle, rugissant :

- Eh ! oui, je tourne, je vire, je volte, je roule et je déroule. Et tenez même, j'arpente et je piétine. C'est un de ces jours de crasse-pluie, où rien ne part, où rien n'arrive. Tout flotte, rien n'aborde. Ni le travail ni le sommeil ne m'attirent.

Elle eut une expression vraiment choisie :

- Je vous trouve comparable à ces linges mouillés qui s'égouttent sans sécher dans les buées d'automne.

Je restai bouche bée : elle frissonnait, tout à fait horrifiée :

- Oh ! pauvre cher, des gouttes, du mouillé, des buées ! Triste, pitoyable état ! Si je ne vous savais pas assez masochiste, je craindrais pour votre vie. Mais, ô Grand-Chat, merci, votre complaisance à souffrir vous protège des vrais dégâts !

Je m'agenouillai et lui pris la patte, toute honte bue, afin d'implorer son entremise. C'est un jeu que nous jouons très bien tous deux. Quand elle m'estime assez recru, désemparé, abandonné du monde entier - et là, j'appuie sur la chanterelle, n'hésitant pas à verser quelques gros bouillons de larmes - elle intervient, magnanime et répand ses secours sur ma nuque ployée.

- Chatte-Mie, dis-je, sur le mode sérieux, vous le savez : je n'ai que vous. Or donc, je ne puis soutenir plus avant ma misère de ce jour. Donnez-moi la solution. Faut-il sortir, se promener, lire, découper des catalogues avec les ciseaux ronds de mon enfance, dois-je me ronger les ongles mordre une pomme, finir les boules de gomme, changer de chaussons, écouter Mozart ou m'en aller prier le Seigneur au plus haut des célestes passerelles de Bach ?

J'estimai utile de m'arrêter. Chatte-Mie, pour qui le temps n'existe guère, eût toléré la poursuite de mes litanies, tout le jour durant si besoin était. Déjà, son ronronnement me servait de basse continue.

Il y eut donc un silence, son rouet mit une sourdine, tandis qu'elle concentrait toute son attention sur sa patte dans ma main.

- Pfeuh que tout cela ! souffla-t-elle à travers moustache.

C'en était trop. Je lâchai sa patte. Ce qui ne lui fit rien. Ma déambulation furibonde me mena de la porte, par où je ne sortis point, à la fenêtre, qui resta close. Je grommelais, pestais et soupirais, sans rompre moindrement le cercle d'empêchement qui me tenait là.

(A suivre !)