La Patte de Chat - Christia Sylf - 05/17
jeudi, mai 4 2006. Lien permanent › La Patte de Chat
Sitôt la porte tirée, elle se mit à marmotter, à petites phrases courtes, hachées, rancuneuses. Sa physionomie avait une expression tendue, presque hantée.
Je la trouvai drôlement accoutrée. Les vêtements, sur elle, avaient je ne sais quoi de sinistre. Ce n'était pas tant le fait qu'ils fussent tout noirs. Mais, surtout, ils semblaient moins la revêtir que la dissimuler. Et, tout en la cachant, néanmoins, ils l'exprimaient complètement. Ils étaient nettement funèbres, bien sûr. Mais là encore, moins comme un deuil porté que comme un uniforme rattaché à la mort. Je remarquai, en outre, que tous leurs plis grimaçaient. La jupe pendait. La blouse grinçait. Le châle tricoté s'embusquait. Le tablier, ce prolétaire, maudissait ses poches gonflées et, en même temps, les couvait comme des ceufs. Le fichu sur la tête se faisait pansement migraineux.
Rien n'était à sa place sur cette femme. Mieux, les différentes pièces de son habillement se toléraient à peine, se détestaient, dans une totale disharmonie.
Cela vous paraît peut-être outrancier ? Vous autres humains, ne voyez pas comme nous. Vos yeux ont une plus faible acuité que les nôtres, capables de se dilater ou de se rétrécir à l'extrême. Et puis, vous projetez souvent vos raisonnements préalables comme un voile devant votre regard. Croyez-moi, les chats savent lire les intentions des aspects extérieurs car, par nature, nous tirons beaucoup de renseignements dans les différents aspects que prend le pelage de nos congénères.
Si cette dame avait été une des nôtres - ce qu'à Grand-Chat ne plaise, car elle ne nous aurait certainement pas fait honneur! - elle eût arboré, comme vivante transcription de sa nature, une ignoble fourrure de relapse, roussâtre, pelée, au poil terne, collé en touffes, tous indices de mauvaise conscience.
Madame Gripoussier évoquait la sécheresse, le fané, la poussière, le ressassement, le rideau tiré. Et moi je discernai au delà, derrière tout ce brouillard, la permanence d'un feu de colère secrète, sur les brasillements duquel venaient soudain fulgurer les livides stridences des actes possibles...
Présentement, Madame Gripoussier fouillait dans son cabas, à la recherche de ses clés. Ce faisant, de guingois, elle traversait le palier plat des marches, pour se planter devant sa porte, juste en dessous de mon mur. Elle n'avait pas cessé de se parler à elle-même, entre ses dents, furieusement.
Les chats de ma famille, à qui elle octroyait nourriture, s'étaient rassemblés autour d'elle. La petite chatte blanche commença son habituel miauli, le nez levé, pathétique, enfantine, pressante.
Madame Gripoussier, toute à ses recherches de clés et à ses marmottements, ne prêtait encore attention à rien. Elle eut un brusque regard peureux vers la fenêtre de sa patronne. Rien n'y paraissant, elle hocha la tête et accéléra son débit :
- Il ferait beau jeu qu'elle se montre ! Ah, merci, oui, merci bien. Madame se permet de me conseiller : mettez de la cire comme ci, il vaut mieux frotter comme ça. Et : trop sales, vos chiffons, changez-les... Les changer, les changer ? ah, merci, oui, merci quand même... Ferait beau jeu... Non, c'est pas vrai, que je lui dis, non j'les casse pas, les boîtes plastiques... Ça se casse, les boîtes, ça se casse tout seul... ah, merci, son petit air ! Faut voir... Voyons, qu'elle dit - non mais faut voir cette sucrée ! - voyons, ça ne se casse pas tout seul, des boîtes, ne me racontez pas de bêtises... ah, merci, oui, merci bien... Les changer, les changer ?... des chiffons !... Et ça me donne des conseils, avec son petit ton, avec son petit air. A moi, des conseils, merci quand même !... C'est comme la vaisselle, j'sais la faire, non ? Rincez bien, qu'elle dit... De quoi j'me mêle!... on verra bien, un jour, si elle l'a encore son petit air, ouais... Et son petit ton, j'lui ferai changer, moi, son petit ton... qu'elle y vienne, qu'elle y vienne m'en remontrer!... ah, merci, oui, merci quand même !
Elle ouvrait sa porte, rentrait chez elle. Les chats la suivirent. Je me faufilai parmi les derniers, sans me faire remarquer.
(à suivre)
Je la trouvai drôlement accoutrée. Les vêtements, sur elle, avaient je ne sais quoi de sinistre. Ce n'était pas tant le fait qu'ils fussent tout noirs. Mais, surtout, ils semblaient moins la revêtir que la dissimuler. Et, tout en la cachant, néanmoins, ils l'exprimaient complètement. Ils étaient nettement funèbres, bien sûr. Mais là encore, moins comme un deuil porté que comme un uniforme rattaché à la mort. Je remarquai, en outre, que tous leurs plis grimaçaient. La jupe pendait. La blouse grinçait. Le châle tricoté s'embusquait. Le tablier, ce prolétaire, maudissait ses poches gonflées et, en même temps, les couvait comme des ceufs. Le fichu sur la tête se faisait pansement migraineux.
Rien n'était à sa place sur cette femme. Mieux, les différentes pièces de son habillement se toléraient à peine, se détestaient, dans une totale disharmonie.
Cela vous paraît peut-être outrancier ? Vous autres humains, ne voyez pas comme nous. Vos yeux ont une plus faible acuité que les nôtres, capables de se dilater ou de se rétrécir à l'extrême. Et puis, vous projetez souvent vos raisonnements préalables comme un voile devant votre regard. Croyez-moi, les chats savent lire les intentions des aspects extérieurs car, par nature, nous tirons beaucoup de renseignements dans les différents aspects que prend le pelage de nos congénères.
Si cette dame avait été une des nôtres - ce qu'à Grand-Chat ne plaise, car elle ne nous aurait certainement pas fait honneur! - elle eût arboré, comme vivante transcription de sa nature, une ignoble fourrure de relapse, roussâtre, pelée, au poil terne, collé en touffes, tous indices de mauvaise conscience.
Madame Gripoussier évoquait la sécheresse, le fané, la poussière, le ressassement, le rideau tiré. Et moi je discernai au delà, derrière tout ce brouillard, la permanence d'un feu de colère secrète, sur les brasillements duquel venaient soudain fulgurer les livides stridences des actes possibles...
Présentement, Madame Gripoussier fouillait dans son cabas, à la recherche de ses clés. Ce faisant, de guingois, elle traversait le palier plat des marches, pour se planter devant sa porte, juste en dessous de mon mur. Elle n'avait pas cessé de se parler à elle-même, entre ses dents, furieusement.
Les chats de ma famille, à qui elle octroyait nourriture, s'étaient rassemblés autour d'elle. La petite chatte blanche commença son habituel miauli, le nez levé, pathétique, enfantine, pressante.
Madame Gripoussier, toute à ses recherches de clés et à ses marmottements, ne prêtait encore attention à rien. Elle eut un brusque regard peureux vers la fenêtre de sa patronne. Rien n'y paraissant, elle hocha la tête et accéléra son débit :
- Il ferait beau jeu qu'elle se montre ! Ah, merci, oui, merci bien. Madame se permet de me conseiller : mettez de la cire comme ci, il vaut mieux frotter comme ça. Et : trop sales, vos chiffons, changez-les... Les changer, les changer ? ah, merci, oui, merci quand même... Ferait beau jeu... Non, c'est pas vrai, que je lui dis, non j'les casse pas, les boîtes plastiques... Ça se casse, les boîtes, ça se casse tout seul... ah, merci, son petit air ! Faut voir... Voyons, qu'elle dit - non mais faut voir cette sucrée ! - voyons, ça ne se casse pas tout seul, des boîtes, ne me racontez pas de bêtises... ah, merci, oui, merci bien... Les changer, les changer ?... des chiffons !... Et ça me donne des conseils, avec son petit ton, avec son petit air. A moi, des conseils, merci quand même !... C'est comme la vaisselle, j'sais la faire, non ? Rincez bien, qu'elle dit... De quoi j'me mêle!... on verra bien, un jour, si elle l'a encore son petit air, ouais... Et son petit ton, j'lui ferai changer, moi, son petit ton... qu'elle y vienne, qu'elle y vienne m'en remontrer!... ah, merci, oui, merci quand même !
Elle ouvrait sa porte, rentrait chez elle. Les chats la suivirent. Je me faufilai parmi les derniers, sans me faire remarquer.
(à suivre)
Annexes
Mots-clés
Christia Sylf , La Patte de Chat , lecture , occulte , occultisme , podcast , roman , spiritualité , ésotérique , ésotérisme