La Patte de Chat - Christia Sylf - 07/17
samedi, mai 6 2006. Lien permanent › La Patte de Chat
J'aurais voulu fuir cet antre de perdition. J'y sentais rôder des miasmes délétères, vieux rêves sadiques, volutes venimeuses d'un esprit rancuneux qui les distillait là, à longueur de temps. Mais il ne m'était pas possible de bouger. Le malaise, la proximité du danger me clouaient sur place. Nous autres chats, les fortes émotions nous inhibent... Les muscles tétanisés, je ne pouvais que rester aplati dans ma cache et endurer jusqu'au bout mon devoir de Veilleur, en témoin horrifié.
J'adressai mentalement une ardente supplication à Grand-Chat. M'entendit-il ? J'étais vidé de toute force psychique. Il me parut donc que mon invocation, pas plus que moi-même, ne trouvait à sortir de cette maison.
Madame Gripoussier s'était mise à distribuer de la nourriture. A du riz cuit, elle mélangeait maigrement de la pâtée pour chats qu'elle tirait de boîtes de conserves. Elle en avait des piles...
Mes congénères commencèrent à manger, dans l'innocence de leurs habitudes. Penchée, cassée en deux par-dessus, elle les caressait, tour à tour, à gestes saccadés. Ses yeux pâlissaient de plus en plus tandis qu'elle bredouillait sa litanie :
- Alors, mes petits minous, ils ont faim, les petits minous, ils mangent bien, les petits minous, alors, mes petits minous...
Son ressassement me jetait hors de moi. Ses intolérables redites me vrillaient le crâne. Je remarquai quand même qu'elle avait conservé sa baguette à la main. Elle n'oubliait pas la chatte. De temps en temps, furtivement, son regard biaisait jusqu'au buffet. Un mince sourire, affreux à voir, lui tirait un peu la lèvre. Elle poursuivait sa série de :« C'est bon, les petits minous, hein, les petits minous, ils mangent bien, les petits minous... »
Je sentis ma tête sur le point d'éclater. La folie ne me gagnait-elle pas? Une montée de fièvre crépitait dans mes poils. Je me demandais si ce n'était pas là quelque antichambre de l'enfer des humains où, nous autres chats, étions par erreur fourvoyés.
Je n'eus pas le loisir de poursuivre ma réflexion. La petite chatte blanche, visiblement affamée, sortait en rampant de dessous le buffet. Madame Gripoussier la voyait parfaitement. De nouveau, le sourire joua sur sa bouche. Mais elle ne marqua ostensiblement aucun signe d'alerte, jusqu'à ce qu'elle jugeât l'objectif à sa portée.
Alors, elle se détourna, abattant sa baguette qui siffla, avant de cingler.
Un cri de rage : une fois encore, la chatte esquivait ! La femme fourragea derechef, avec une fureur accrue, de sa baguette sous le buffet. En vain. Elle se releva, geignante, une main aux reins. Son visage s'était marbré, son nez, pincé. Dérangé, le bandeau de ses cheveux lui donnait l'air grotesque. Sur ses épaules, sa pèlerine pendait de travers. Elle ne s'en apercevait pas, tout à sa rage :
- Salope, petite salope, tu vas y passer, j'te le dis, moi, j'te le promets, t'y passeras, t'y passeras, et bientôt encore, tu perds rien pour attendre... viens-y voir, ma minette, viens-y voir, mon petit minou... il est gentil, le petit minou...
La bouche mauvaise, elle émettait traîtreusement ce bruit d'invite, si proche du baiser des hommes, qui universellement nous appelle !
Je voulus intervenir. Impossible. Ma nouure ne me lâchait pas !
La chatte rampa sous le meuble. Son mince visage était pathétique. Ses yeux se dilataient d'émoi. On l'appelait ! Mais elle n'osait encore bouger, terrifiée par l'incompréhensible tempête, encore si proche.
Éperdue, tiraillée, elle se remit à miauler. Sa voix était grêle, rendue discordante par son trouble.
- Salope ! cracha tout bas Madame Gripoussier qui renouvela ses invites : « Viens, ma petite minette, viens vite vers ta mémère. »
Un tic nerveux trémulait sur sa joue... La chatte apparut.
Rapide, la femme l'empoigna par la peau du cou, l'enroula aussitôt dans son châle, saisi à la volée. Terrifiée, la chatte miaulait, miaulait, aigrement. Rien ne semblait devoir l'arrêter. Mais Madame Gripoussier, elle, se taisait, en fouillant de la main dans une de ses boîtes. Ses lèvres étaient si serrées qu'elles barraient d'une entaille d'ombre le bas de son visage. Elle tira une cordelette de la boîte et, d'un élan, tenant la chatte, sortit dans sa cour.
(à suivre)
J'adressai mentalement une ardente supplication à Grand-Chat. M'entendit-il ? J'étais vidé de toute force psychique. Il me parut donc que mon invocation, pas plus que moi-même, ne trouvait à sortir de cette maison.
Madame Gripoussier s'était mise à distribuer de la nourriture. A du riz cuit, elle mélangeait maigrement de la pâtée pour chats qu'elle tirait de boîtes de conserves. Elle en avait des piles...
Mes congénères commencèrent à manger, dans l'innocence de leurs habitudes. Penchée, cassée en deux par-dessus, elle les caressait, tour à tour, à gestes saccadés. Ses yeux pâlissaient de plus en plus tandis qu'elle bredouillait sa litanie :
- Alors, mes petits minous, ils ont faim, les petits minous, ils mangent bien, les petits minous, alors, mes petits minous...
Son ressassement me jetait hors de moi. Ses intolérables redites me vrillaient le crâne. Je remarquai quand même qu'elle avait conservé sa baguette à la main. Elle n'oubliait pas la chatte. De temps en temps, furtivement, son regard biaisait jusqu'au buffet. Un mince sourire, affreux à voir, lui tirait un peu la lèvre. Elle poursuivait sa série de :« C'est bon, les petits minous, hein, les petits minous, ils mangent bien, les petits minous... »
Je sentis ma tête sur le point d'éclater. La folie ne me gagnait-elle pas? Une montée de fièvre crépitait dans mes poils. Je me demandais si ce n'était pas là quelque antichambre de l'enfer des humains où, nous autres chats, étions par erreur fourvoyés.
Je n'eus pas le loisir de poursuivre ma réflexion. La petite chatte blanche, visiblement affamée, sortait en rampant de dessous le buffet. Madame Gripoussier la voyait parfaitement. De nouveau, le sourire joua sur sa bouche. Mais elle ne marqua ostensiblement aucun signe d'alerte, jusqu'à ce qu'elle jugeât l'objectif à sa portée.
Alors, elle se détourna, abattant sa baguette qui siffla, avant de cingler.
Un cri de rage : une fois encore, la chatte esquivait ! La femme fourragea derechef, avec une fureur accrue, de sa baguette sous le buffet. En vain. Elle se releva, geignante, une main aux reins. Son visage s'était marbré, son nez, pincé. Dérangé, le bandeau de ses cheveux lui donnait l'air grotesque. Sur ses épaules, sa pèlerine pendait de travers. Elle ne s'en apercevait pas, tout à sa rage :
- Salope, petite salope, tu vas y passer, j'te le dis, moi, j'te le promets, t'y passeras, t'y passeras, et bientôt encore, tu perds rien pour attendre... viens-y voir, ma minette, viens-y voir, mon petit minou... il est gentil, le petit minou...
La bouche mauvaise, elle émettait traîtreusement ce bruit d'invite, si proche du baiser des hommes, qui universellement nous appelle !
Je voulus intervenir. Impossible. Ma nouure ne me lâchait pas !
La chatte rampa sous le meuble. Son mince visage était pathétique. Ses yeux se dilataient d'émoi. On l'appelait ! Mais elle n'osait encore bouger, terrifiée par l'incompréhensible tempête, encore si proche.
Éperdue, tiraillée, elle se remit à miauler. Sa voix était grêle, rendue discordante par son trouble.
- Salope ! cracha tout bas Madame Gripoussier qui renouvela ses invites : « Viens, ma petite minette, viens vite vers ta mémère. »
Un tic nerveux trémulait sur sa joue... La chatte apparut.
Rapide, la femme l'empoigna par la peau du cou, l'enroula aussitôt dans son châle, saisi à la volée. Terrifiée, la chatte miaulait, miaulait, aigrement. Rien ne semblait devoir l'arrêter. Mais Madame Gripoussier, elle, se taisait, en fouillant de la main dans une de ses boîtes. Ses lèvres étaient si serrées qu'elles barraient d'une entaille d'ombre le bas de son visage. Elle tira une cordelette de la boîte et, d'un élan, tenant la chatte, sortit dans sa cour.
(à suivre)
Annexes
Mots-clés
Christia Sylf , La Patte de Chat , lecture , occulte , occultisme , podcast , roman , spiritualité , ésotérique , ésotérisme