J'avais la tête perdue. Je pantelais dans mon coin, sans comprendre, sans pouvoir, sans vouloir. Du dehors me parvenaient des bruits vagues, menus crissements, légers chocs. Je n'arrivais point à les revêtir de leurs significations. Une sorte de piétinement ponctua ces bruits, puis un halètement nerveux. Atroce, un cri de chatte fusa, coupé net, tandis qu'à nouveau le torrent verbal éclatait :

- Alors, salope, tu crèves, dis, tu te décides, hein, salope, vas-tu crever !

Dans une explosion de tous mes sens, j'avais bondi sur la crête du mur. Je voyais l'impensable. Là dessous, dans la cour, entre la lessive et les pots de fleurs : Madame Gripoussier tenait à bout de bras la cordelette avec la chatte blanche pendue par le cou. Elle vivait encore, la pauvrette, et se débattait. Sans cri, sans souffle, elle réussissait ce miracle de désespoir de regrimper de toutes ses griffes au long de ce trop mince appui ! Oui, elle regrimpait, sous les yeux incrédules de sa tortionnaire, haussant désespérément sa gueule rose vers une impossible goulée d'air.

- Salope, salope !

Madame Gripoussier donnait des secousses brusques à la cordelette pour faire retomber sa victime. Elle était effrayée, n'osant approcher l'autre bras de crainte des coups de griffes mais néanmoins, hors d'elle, elle jouissait de la chose, bouche mouillée, flageolant sur ses jambes, hypnotisée par le spectacle de cette agonie. Elle donnait des secousses et des secousses pour décrocher ce petit corps blanc, convulsé dans sa remontée.

Une première fois, la chatte céda. Elle pendit tout à coup, en bas de la cordelette, pattes écartées. Elle tournoyait doucement au bout du bras qui la portait. Je la crus morte. Mais, soudain, elle fit un bond prodigieux, atteignant presque la main de Madame Gripoussier qui cria brièvement, peureuse. La chatte cramponna ses griffes dans la cordelette, relâchant ainsi, une seconde, l'étranglement. Elle n'avait plus de forces. Ses yeux étaient ternis. Elle glissa lentement, se retint.

Ce fut alors qu'elle me vît. Toute sa conscience flamba dans son regard. Et, me prenant à témoin de son injuste supplice, dans son dernier effort, elle fit le Geste Terrible : elle leva sa patte de devant, en direction de son bourreau, toutes griffes sorties, en suprême appel à Grand-Chat. Solennellement, en réponse, je levai ma patte. Elle eut le temps de comprendre. Puis, elle lâcha tout. Au bout de la cordelette son cou se brisa. Elle mourut, délivrée, molle épave de fourrure blanche.

Mon poil se hérissait. Grand-Chat apparut dans la nue. Je levai derechef ma Patte-Griffe. Madame Gripoussier qui ne bougeait pas, hébétée, tenant toujours son crime à bout de bras, me vit au-dessus d'elle, dans cette pose, auréolé de puissance vengeresse, la désignant à la vindicte de Grand-Chat.

Une abjecte peur déforma ses traits. Sa bouche s'ouvrit. Aucun son n'en sortit.

D'un geste d'une violence incroyable, véritable explosion de rejet, elle lança au loin, dans les ruines, le cadavre de la chatte blanche au bout de la cordelette.

Elle me fit face, pourtant.

- Tu vas te sauver, dis, tu vas te sauver ou je te fais ton affaire !

Elle ne le pouvait pas. J'étais trop haut. J'intensifiai vers elle la menace occulte de la Patte-Griffe et je feulai sur cette créature la malédiction des chats.

Madame Gripoussier parut apercevoir quelque chose, en haut, derrière moi.

Elle s'enfuit, tout à trac, battant en retraite dans son repaire.

(à suivre)