La Patte de Chat - Christia Sylf - 12/17
vendredi, mai 25 2007. Lien permanent › La Patte de Chat
Il m'étonnait sans cesse et son humanité commençante me jetait dans des abîmes de perplexité. Déjà, il n'avait plus de mouvements, comme nous autres mais, véritablement, il faisait des « gestes », coordonnés, précis, volontaires, préparés par des intentions et les exprimant. Des gestes humains. Non, je n'exagère pas : humains !
Je l'ai vu, Cendrinet de la Luz, vu, avec effarement. Je vous garantis que cela tenait du miracle. Il paraissait porté par quelque grâce d'état, il allait et venait, toujours gai, toujours doux, d'humeur toujours égale. J'entendis sa maîtresse déclarer que jamais il n'avait donné un seul coup de griffe, même dans son enfance joueuse.
Ah ! qu'il avait donc des élans, de l'affection, des mutineries, de la prévenance, de la confiance surtout. Tout de sa Dame le captivait, il la contemplait discrètement, sans se lasser; il la respirait, détaillait ses attitudes, en cherchait le sens.
Quand la Dame écrivait, il lui posait gravement sa patte sur le poignet, suivant tous les mouvements de la plume, sans rien entraver.
Quand la Dame se maquillait, il la regardait, de très près, demandant à voir et à respirer, tour à tour, tous les petits éléments dont elle usait : le démaquillant, la lotion, la poudre. Il l'interrogeait du regard, ponctuant chaque objet de menues réflexions roucoulées sur le mode interrogatif et la Dame lui répondait, à moitié en chat, à moitié en paroles d'homme. Un merveilleux sabir ! ...
Quand la Dame se reposait dans un fauteuil profond, il venait poliment quêter la permission d'un tendre sommeil qu'elle lui accordait toujours. Il sautait alors, tout léger, sur ses genoux et, loin de se rouler en rond, selon nos coutumes, il s'accotait contre elle, la tête sur son coeur et la patte doucement allongée jusque sur son épaule, en se baignant dans son regard qui souriait si volontiers.
Quels ronronnements d'aise, il déroulait, Cendrinet de la Luz et comme la Dame riait soudain, à le sentir si béat.
Elle disait: « Mon bonhomme de chat! » Et c'était beau, cette expression sur ses lèvres. Parce que c'était vrai : il était déjà un bonhomme, un bonhomme de chat...
Je crois que la Dame était un peu fée : elle générait en lui, mystérieusement, cette humanité qu'il désirait tant...
Et quand elle le prenait dans ses bras, il y demeurait, sur le dos, abandonné, les quatre pattes en l'air, la queue pendante, déroulée par sa paix, tandis qu'elle lui grattait doucement le haut de la poitrine, jusqu'à ce qu'il lui prît un doigt entre ses dents, sans jamais serrer, pour un baiser à sa manière, qu'il lui donnait longuement, sans la quitter de l'oeil.
Et puis, souvent aussi, il avait un geste bien particulier, dont je ne m'expliquais pas le sens, mais qui me troublait. Il venait vers la Dame et il cachait ses yeux dans la paume de sa main... Les petits enfants des hommes font cela, je crois...
Cependant, au long des jours, quelque chose changea dans leur ambiance. La Dame se reposa plus longtemps. Elle était pâle. Elle avait toujours soif. Elle me parut souffrir souvent. Elle mordillait ses lèvres sèches et déglutissait difficilement.
Cendrinet de la Luz n'était pas bien non plus. Et même, je le jugeai d'instinct plutôt plus mal qu'elle. Pour la première fois, je vis de la détresse dans ses yeux. Il affectait de se tenir bien droit mais ses pattes devenaient raides et quand il passait près de moi, je sentais, avec horreur, qu'il se refroidissait.
Quelques jours mornes passèrent. Cendrinet de la Luz ne quittait plus une boîte bourrée de délicats lainages, sur quoi se penchait, à tout moment, sa Dame.
Je m'aperçus qu'il ne pouvait plus boire. La Dame lui présentait sa tasse, contenant de l'eau fraîche ; il refusait, d'un geste lassé, bien faible mais, étrangement, il demandait que la tasse fût posée près de lui.
Et il restait là, le menton tendu, au-dessus de l'eau, comme si, mystérieusement, il en eût capté un peu l'humidité pour atténuer l'affreux dessèchement interne qui le rongeait.
- Il est malade, le petit minou, alors, il est malade, le petit minou ?...
Madame Gripoussier venait d'entrer dans le bureau. Elle avait laissé les portes entrouvertes derrière elle. Bouleversé, je bondis jusqu'à la cuisine.
(à suivre)
Je l'ai vu, Cendrinet de la Luz, vu, avec effarement. Je vous garantis que cela tenait du miracle. Il paraissait porté par quelque grâce d'état, il allait et venait, toujours gai, toujours doux, d'humeur toujours égale. J'entendis sa maîtresse déclarer que jamais il n'avait donné un seul coup de griffe, même dans son enfance joueuse.
Ah ! qu'il avait donc des élans, de l'affection, des mutineries, de la prévenance, de la confiance surtout. Tout de sa Dame le captivait, il la contemplait discrètement, sans se lasser; il la respirait, détaillait ses attitudes, en cherchait le sens.
Quand la Dame écrivait, il lui posait gravement sa patte sur le poignet, suivant tous les mouvements de la plume, sans rien entraver.
Quand la Dame se maquillait, il la regardait, de très près, demandant à voir et à respirer, tour à tour, tous les petits éléments dont elle usait : le démaquillant, la lotion, la poudre. Il l'interrogeait du regard, ponctuant chaque objet de menues réflexions roucoulées sur le mode interrogatif et la Dame lui répondait, à moitié en chat, à moitié en paroles d'homme. Un merveilleux sabir ! ...
Quand la Dame se reposait dans un fauteuil profond, il venait poliment quêter la permission d'un tendre sommeil qu'elle lui accordait toujours. Il sautait alors, tout léger, sur ses genoux et, loin de se rouler en rond, selon nos coutumes, il s'accotait contre elle, la tête sur son coeur et la patte doucement allongée jusque sur son épaule, en se baignant dans son regard qui souriait si volontiers.
Quels ronronnements d'aise, il déroulait, Cendrinet de la Luz et comme la Dame riait soudain, à le sentir si béat.
Elle disait: « Mon bonhomme de chat! » Et c'était beau, cette expression sur ses lèvres. Parce que c'était vrai : il était déjà un bonhomme, un bonhomme de chat...
Je crois que la Dame était un peu fée : elle générait en lui, mystérieusement, cette humanité qu'il désirait tant...
Et quand elle le prenait dans ses bras, il y demeurait, sur le dos, abandonné, les quatre pattes en l'air, la queue pendante, déroulée par sa paix, tandis qu'elle lui grattait doucement le haut de la poitrine, jusqu'à ce qu'il lui prît un doigt entre ses dents, sans jamais serrer, pour un baiser à sa manière, qu'il lui donnait longuement, sans la quitter de l'oeil.
Et puis, souvent aussi, il avait un geste bien particulier, dont je ne m'expliquais pas le sens, mais qui me troublait. Il venait vers la Dame et il cachait ses yeux dans la paume de sa main... Les petits enfants des hommes font cela, je crois...
Cependant, au long des jours, quelque chose changea dans leur ambiance. La Dame se reposa plus longtemps. Elle était pâle. Elle avait toujours soif. Elle me parut souffrir souvent. Elle mordillait ses lèvres sèches et déglutissait difficilement.
Cendrinet de la Luz n'était pas bien non plus. Et même, je le jugeai d'instinct plutôt plus mal qu'elle. Pour la première fois, je vis de la détresse dans ses yeux. Il affectait de se tenir bien droit mais ses pattes devenaient raides et quand il passait près de moi, je sentais, avec horreur, qu'il se refroidissait.
Quelques jours mornes passèrent. Cendrinet de la Luz ne quittait plus une boîte bourrée de délicats lainages, sur quoi se penchait, à tout moment, sa Dame.
Je m'aperçus qu'il ne pouvait plus boire. La Dame lui présentait sa tasse, contenant de l'eau fraîche ; il refusait, d'un geste lassé, bien faible mais, étrangement, il demandait que la tasse fût posée près de lui.
Et il restait là, le menton tendu, au-dessus de l'eau, comme si, mystérieusement, il en eût capté un peu l'humidité pour atténuer l'affreux dessèchement interne qui le rongeait.
- Il est malade, le petit minou, alors, il est malade, le petit minou ?...
Madame Gripoussier venait d'entrer dans le bureau. Elle avait laissé les portes entrouvertes derrière elle. Bouleversé, je bondis jusqu'à la cuisine.
(à suivre)
Annexes
Mots-clés
Christia Sylf , La Patte de Chat , lecture , occulte , occultisme , podcast , roman , spiritualité , ésotérique , ésotérisme