Quelques heures plus tard, nous étions tous réunis par nos signaux magnétiques. Nous nous dirigeâmes vers l'entrée secrète de notre sanctuaire, dans les ruines du château.

Ce fut une longue plongée. Parfaitement silencieux, nous bondissions, les uns derrière les autres, en rangs serrés, la queue bien haute. Le clavier des marches dévalait sous nos pattes. Nous avions hâte de rejoindre le dessous, l'univers de la nuit, la profondeur aimée.

Descendre ainsi nous enivrait car nous perdions peu à peu notre poids de dessus terre pour devenir légers comme plume. L'escalier se forait comme une vis vers la crypte engloutie, sous les racines occultes du château...

De loin en loin, dans notre descente, nous croisions les gardes imperturbables dont les yeux flamboyants éclairaient tout autour d'eux. A notre approche, ils feulaient doucement pour signaler notre passage. Et les gardes postés plus bas leur répondaient de la même façon.

Puis ce fut la crypte. Nous arrivâmes dans notre sanctuaire.

Il y faisait vert comme dans le regard de Bastet l'Égyptienne. Une mousse épaisse, phosphorescente, couvrait le sol. Quand nous y mîmes la patte, le magnétisme tellurique satura nos fourrures.

Dès l'entrée, rituellement, nous avions fait le gros dos.

La voûte s'arrondissait en arc profond au-dessus de nous. Il y pendait des rideaux de filaments légers, également phosphorescents.

Le calme sacré nous envahit. Nous nous assemblâmes, côte à côte, fraternellement, et entonnâmes Le Grand-Ronron. A voix contenue d'abord, puis de plus en plus largement, jusqu'à ce que l'hypnose dilatât nos yeux de voyants.

Autour de nous, au long des murs, les momies de nos Prophètes et de nos Hiérophantes étaient devenues visibles. Elles nous entouraient de leur haute bienveillance et nous rappelaient notre fabuleux passé. Que de nobles figures ! Nous regardions, tour à tour, Paphnuce le Subtil qui assista Saint-Antoine lors de sa Tentation, Rapatoil aux Beaux Yeux qui possédait le point de vue de Sirius, Ponpata qui, le premier, découvrit les vertus du Grand-Ronron, et Gramino le Rabbi, avec ses apôtres : Nagrobis, Raminaud et la blonde Grippemina qui nourrissait dans sa grotte les souris et les petits oiseaux...

Sans cesser le Grand-Ronron, toujours avec le même ensemble, nous commençâmes à danser sur place, en foulant la mousse épaisse où nos griffes, dégainées puis rétractées, s'enfonçaient rythmiquement. D'une patte sur l'autre, le balancement incantatoire se faisait. Nous pétrissions la matière astrale qui, maintenant, se dégageait en volutes abondantes. Toute notre assemblée ondulait, d'une houle puissante, sur quoi tonnaient les orgues du GrandRonron cosmique.

Nous avions atteint l'état d'être voulu. La volupté mystique nous enivrait. Nous tenions nos regards rivés avec ferveur sur Grand-Chat, représenté au centre de notre autel, dans son symbolisme d'Égypte : assis, hiératique, entouré de fines bandelettes, un anneau d'or à la pointe de l'oreille. Ses divins yeux d'ambre, aux pupilles dilatées, nous emportaient dans son infinie vision.

Alors, nos prêtres maigres, à longue fourrure plumeuse, s'avancèrent devant l'autel. Les gardes pieux les entourèrent en faisant flamboyer le feu vert de leurs yeux.

Le cri de Bastet au printemps jaillit de toutes nos poitrines.

Et Grand-Chat parut, dans sa splendeur, tenant unis le soleil et la lune derrière sa tête !

La crypte avait disparu à nos sens exaltés. Nous flottions librement sur des nuées d'aube et de couchant. Le jour, blanc, se tenait à droite, la nuit, noire, se tenait à gauche. Au centre de l'univers, nous communions avec Grand-Chat !

Les prêtres me soutenaient fermement car, presque, je défaillais. Mais je pus présenter ma requête.

Je le fis en notre nom et aussi au nom de la Dame.

Grand-Chat dit :

- Un humain vient sur terre pour comprendre la portée de ses actions sur autrui, en devenant capable de les refléter en lui-même. En accord avec la Hiérarchie Suprême, nous mettrons donc cette créature opaque en état de reflet.

Grand-Chat dit :

- La damnation de Madame Gripoussier se déroulera en trois sabbats qui s'enchaîneront l'un à l'autre, selon une procédure accélérée, devant la mener, par intime démonstration, à la compréhension finale de ses propres actes.

- Que cela soit ! vocalisa le choeur vibrant de l'assistance.

- Cela est ! affirma Grand-Chat, avant de disparaître dans toute sa gloire.

En effet, déjà, cela était...

(à suivre)