Les événements que j?enregistrais là y étaient toujours plus significatifs et, surtout, plus déroutants que partout ailleurs. Tout y prenait une saveur particulière. Le quotidien même, dans sa plus absolue routine, s?y paraît d?étranges magies, nées des interactions de deux univers.

Voilà pourquoi, au chemin de ronde de Saint-Levant, la divine présence de Grand-Chat se faisait sentir mieux que partout ailleurs.

Il est connu que tous les chats du monde rendent leurs dévotions à Grand-Chat : ça, c?est de l?exotérisme. Mais je puis, sans me vanter, affirmer que, nous autres, sommes ses plus proches fidèles et presque le corps de sa prêtrise occulte. Nous sommes les représentants de son ésotérisme.

J?ai ouï dire que vous appeliez Grand-Chat notre Esprit-Groupe ou notre Ame-Groupe, c'est-à-dire le divin réservoir de notre espèce, le dieu qui nous conserve et nous représente.

C?est assez juste. Il est notre vivante demeure cosmique aux multiples alvéoles. Notre au-delà des chats brille, entre le soleil et la lune dont la double lumière fait nos délices. En mourant, nous nous évaporons, hors de notre peau et Grand-Chat nous accueille, recevant de nous la totalité de notre expérience qu?Il répartit ensuite, également, à travers toutes les âmes-chats qui Le composent ; celles-ci, émanées de nouveau vers la terre, profiteront donc, à chaque incarnation, de ce partage équitable. Ainsi, tout ce que nous faisons, tout ce que nous apprenons, profite à l?ensemble.

Nous sommes les cellules de Grand-Chat, déléguées sur terre. Nous n?existons que par Lui, dans la cohésion suprême de son unité. Mais Il n?existe Lui-Même que par la multiple adhésion de tous nos petits nous-mêmes, dans notre diversité qui, cependant, est Une?

Mais, trêve de philosophie, je bavarde, je bavarde, autant que les cornemuses des pleines lunes de nos érotismes !

J?allais donc, certain matin comme d?habitude, à mes affaires. L?air était léger, un peu mou, annonciateur du printemps proche. Sur les toitures de lourdes tuiles romanes, les habituels jardins de pariétaire repoussaient. Un soleil d?une blondeur grise tiédissait mon chemin sur les crêtes accidentées des vieux murs.

Je me sentais bien, quoique d?humeur rêveuse, moins enclin que jamais aux folâtreries dont ma famille se croit obligée de m?accabler, lorsque je parais.

A vrai dire, mes sens étaient en alerte. Des risées indéfinissables parcouraient mon poil. Je captais des grésillements à la pointe de mes moustaches. Et, par l?antenne de ma queue jusqu?à mon cerveau, des impulsions venues de la sphère de Grand-Chat m?incitaient à la plus grande attention.

Ce jour ne se passerait pas sans événement !

(à suivre)