En cet état de pensées, la mine peut-être un peu chiffonnée, je traversai, sans trop m'en rendre compte, les petits groupes de ma proche famille, occupés à se délasser au soleil. On eut le bon goût de ne pas interrompre mon évidente méditation. Les conversations baissèrent d'un ton. Les gestes de la toilette s'alentirent, se suspendirent. Toutes les têtes étaient tournées vers moi.

Sans piper, je gagnai ma place réservée qui se situe entre deux maisons resserrées, juste au-dessus du chemin de ronde, là où les marches forment une manière de large palier. Le mur qui m'accueille est creusé de caches ; sa crête éboulée offre des berceaux tapissés de mousse et de fougères. Je soupirai d'aise en y retrouvant ma rémanence que personne ne s'était permis de troubler depuis mon dernier passage. J'en sus gré à ma famille et, pour l'en remercier, je consentis à quelques menus échanges de nouvelles, tout en accomplissant ma première toilette.

Le climat général se détendit, sans pour autant que l'intérêt eût faibli : les ronronnements reprirent du côté des jeunes que les mères s'étaient remises à bichonner.

Petite Grand-Mère Miouk, notre ancêtre vénérée, que l'âge rapetisse et rend pareille à un chaton fripé, se faisait le porte-parole de tout le monde. De son filet de voix aigrelet, elle m'assura d'abord de la compréhension générale, me disant que mon état ne surprenait personne car tous ici avaient enregistré des ondes prémonitoires. Elle-même, toute cassée qu'elle fût, détectait alentour des intentions volantes, des crissements de pensées, des tournoiements d'humeur.

- Cela vient d'un humain, affirma-t-elle et elle ajouta : « La nuit, hors du sommeil de cette maison (elle désignait celle qui jouxtait notre mur), des volutes astrales se dégagent, lourdes, rampantes. Je ne sais quelle signification leur donner. Elles me semblent chercher, chercher seulement, une issue peut-être ? car elles se reploient souvent sur elles-mêmes comme des choses de lassitude... Ou bien elles cherchent une proie ? Je les vois se détendre comme des lanières dont le bout se recourbe. Mais elles se cassent, elles s'effritent, elles retombent, informes. Elles pendent alors, durant toute la nuit, comme des draps humides, de malsaines lessives, sur la porte, sur le mur... »

Les chatons se cachaient sous leurs mères. Nous étions réellement effrayés et je dus faire taire notre trop pénétrante aïeule, tout en me répandant en bonnes paroles dont je ne croyais pas un traître mot. Mais il importait de rassurer.

On m'écoutait. Tout en parlant, j'avisai, dans un coin, un peu à l'écart, une petite chatte blanche. Elle était très jolie. Mais son air gracile, son manque de défense me firent éprouver un subit sentiment de pitié. Elle m'apparaissait comme un de ces êtres trop affinés sur quoi plane un destin cruel. Je la connaissais pour avoir déjà remarqué la façon naïve et pressante dont elle venait miauler à la porte de la maison proche.

Un élan me souleva. Je voulus l'interpeller, afin de la mettre en garde. Mais je n'en eus pas le temps : la porte de la maison d'en face s'ouvrit.

Du clocher proche, les douze coups de midi déferlaient en sonores roulements d'un toit à l'autre. Je m'aplatis dans mon coin. La moitié de ma famille s'était égaillée. L'autre moitié s'apprêtait à se porter au-devant de l'arrivante.

Celle-ci, c'était Madame Gripoussier. Elle venait de terminer le ménage du matin chez sa patronne.

(à suivre)